Henneron (L.), Les recompositions du mouvement féministe en France après 1981

Depuis la fin des années 1970 et la disparition du MLF (Mouvement de Libération des Femmes), le mouvement féministe semblait éteint. Ce mouvement qui avait notamment obtenu le droit à l’avortement et avait bouleversé les conditions de vie des femmes semblait dès le début des années 1980 considéré comme dépassé, les acquis du mouvement servant de prétexte pour proclamer son obsolescence. Pourtant, depuis quelques années, on a pu assister en France, à une résurgence du mouvement féministe, avec notamment le mouvement pour la parité et la mobilisation des féministes pour la défense des acquis des années 1970. Ainsi, la manifestation de novembre 1995 contre les commandos anti-IVG et la défense des droits à l’avortement et à la contraception, a réuni 40 000 personnes. De nouvelles associations se sont créées, notamment les médiatiques Chiennes de garde ou encore Mix Cité qui semblent apporter de nouvelles formes de militantisme féministe.

Ce regain survient après quinze années de difficultés pour les militantes et de silence concernant la question des femmes. Ainsi Sylvie Chaperon distingue plusieurs générations de féministes. La génération suffragiste du début du siècle et celle de Mai 68 constituent les deux crêtes de la vague. Le creux est représenté, pour elle, par les générations de la guerre et des années 1950-1960 [1]. De même, à la fin des années 1970, une période de creux a succédé à un mouvement d’une ampleur considérable. Dans le cadre de travaux précédents [2], j’avais commencé à m’intéresser au « nouveau » militantisme féministe, en posant la question de la transmission entre les générations militantes des années 1970 et des années 1990. Les jeunes féministes, tout en revendiquant la filiation avec le MLF, avaient des difficultés à travailler avec les féministes des années 1970. Dans les années 1980, le reflux du militantisme féministe n’a pas permis la transmission directe de l’héritage, qui s’est faite principalement par la lecture d’ouvrages. Les nouveaux-elles militant-es créent leurs propres structures. Il semble donc que le renouvellement dans le mouvement féministe soit placé sous le signe d’une certaine continuité avec le MLF, mais aussi de ruptures entre les deux générations militantes.

Après la fin du MLF, le mouvement féministe s’est recomposé. Formée d’une multiplicité d’associations aux revendications différentes, une nébuleuse féministe s’est constituée. Celle-ci est capable de se rassembler épisodiquement pour de grandes manifestations mais n’en reste pas moins segmentée. On observe une dispersion des militant-es féministes dans des associations parfois généralistes mais pour la plupart spécialisées autour d’une thématique précise. Les associations créées après 1995 renouvellent le monde féministe. Elles apportent d’une part, de nouveaux-elles militant-es en recrutant des jeunes ainsi que des hommes, et d’autre part, de nouvelles formes de militantisme. En effet, avec la mixité, les féministes renouent avec des mouvements antérieurs au MLF, comme celui des suffragistes. Cela crée un certain clivage entre les féministes des années 1970 et celles de la nouvelle génération. En outre, la mixité remet en cause certaines pratiques du MLF, comme les groupes de parole, qui avaient pour but de mettre à jour l’oppression spécifique des femmes et leur permettre de se libérer par une action politique menée en commun. La présence des hommes dans les associations mixtes conduit les féministes à militer autrement. De même, la question de l’autonomie du mouvement suscite des réponses différentes et crée des clivages au sein de la nébuleuse féministe. En effet, certaines associations tiennent à cette autonomie tandis que d’autres choisissent de porter la question féministe dans des organisations politiques centrés sur d’autres revendications. Enfin, on peut dire que si le MLF avait apporté une manière originale de militer et de s’organiser entre femmes, le mouvement féministe contemporain calque plus ses formes de militantisme sur ce que l’on nomme les « nouveaux mouvements militants ». [3]

 
Liane Henneron, doctorante en sociologie  (Centre d’Étude des Mouvements Sociaux, EHESS)
Les recompositions du mouvement féministe en France après 1981
Extrait du Bulletin Archives du féminisme, n° 6, décembre 2003
Présentation d’un projet de thèse en Sociologie, EHESS, sous la dir. de Rosemarie Lagrave (2003), « Les mouvements féministes français, des années 1980 à nos jours »

[1] Sylvie Chaperon, Les années Beauvoir 1945-1970, Paris, Fayard, 2000, 430 p.

[2] Liane Henneron, La transmission du militantisme féministe des années 70 aux années 90, entre héritage et conflits, mémoire de maîtrise réalisé sous la direction de Mathilde Dubesset, soutenu en septembre 2000 à l’IEP de Grenoble.

[3] « Crise de la politique et nouveaux militants », Mouvements, n°3, Paris, La Découverte, mars-avril 1999, 191 p.