Metz (A.), Marguerite Durand et l’Office du travail féminin

C’est en 1907 que Marguerite Durand fonde l’Office du travail féminin. Particulièrement impliquée dès les débuts de son journal La Fronde (1897) dans toutes les questions relatives au travail des femmes, elle veut profiter d’un contexte politique favorable à cette nouvelle initiative.

En effet, le 25 octobre 1906, Georges Clemenceau devient président du Conseil et crée, par décret, le ministère du Travail ; ce portefeuille est confié à René Viviani, avocat socialiste, ami de Marguerite Durand. Ces liens d’amitié, ainsi que les relations qu’elle possède au Parlement, lui font espérer pouvoir obtenir la création d’un Office du travail féminin, qui serait directement attaché au ministère du Travail. En janvier 1907, le docteur Meslier, député, est chargé de défendre le projet à la Chambre ; il obtient le vote à l’unanimité d’un crédit spécial pour 1908. Impatiente, et quelque peu méfiante, Marguerite Durand décide de réaliser son projet dès 1907, officieusement et à ses frais, en attendant son officialisation l’année suivante.

Dans la lettre circulaire qu’elle adresse aux élus, elle explique les buts de cet Office « chargé de transmettre aux législateurs les justes revendications des travailleuses qui, n’étant point électeurs ne sont jamais, ne peuvent être consultées quand leurs intérêts sont en jeu. Tant que le travail de la femme sera régi par des lois différentes de celles qui régissent le travail de l’homme, les intérêts de la travailleuse seront différents de ceux des travailleurs et devront être étudiées spécialement (…) L’Office du travail féminin, par ses enquêtes, sa documentation, ses statistiques, ses consultations fréquentes des intéressées, sera certainement de la plus grande utilité pour les législateurs soucieux de se renseigner sur la situation exacte des travailleuses, sur leurs desiderata ».

Du 25 au 27 mars 1907, elle organise un congrès du travail féminin au Grand Orient, ouvert uniquement aux syndicats féminins ou mixtes ; ce congrès est préparé par une large consultation des travailleuses, sous forme de questionnaires qu’elle a adressés aux Bourses du travail.

Une soixante de syndicats, venus de province pour l’essentiel, répondent à son invitation, et émettent un ensemble de propositions qui rejoignent celles qui ont été votées lors du congrès de 1900 et qui ont été défendues dans les colonnes de La Fronde depuis sa fondation : non-réglementation du travail féminin, car une législation spécifique est dangereuse (exception faite des femmes enceintes)  application du principe « à travail égal, salaire égal »  réglementation du travail à domicile, sous payé  dénonciation de la concurrence du travail fait par les femmes en prison et dans les couvents  éligibilité aux conseils des prud’hommes admission dans les syndicats masculins libre disposition du salaire pour la femme mariée, etc.

Par ce congrès, Marguerite Durand parvient à intéresser les travailleuses à son projet, mais elle est très vivement attaquée par la presse de la CGT ; ainsi peut-on lire dans La Voix du peuple du 14 au 21 avril 1907 : « Triste fumisterie que le Congrès féministe qui s’est tenu l’autre semaine à Paris pour faire nommer Mme Marguerite Durand et préparer sa titularisation au ministère du Travail, comme directrice, à gros appointements, de cette nouvelle boutique. Afin d’amener des déléguées, la belle Marguerite a payé tous les frais -voyage, logement, nourriture… Grâce à cela, elle a pu racoler une cinquantaine d’ouvrières qui sont reparties convaincues des dangers de l’office féminin. Mais, qui a payé ? Voici : les bons amis Clemenceau et Viviani ont marché de 18 000 francs – pris dans nos poches. Donc le Congrès a été une bonne affaire pour Marguerite, car elle n’a fichtre pas dépensé les 18 000 balles à goberger les 50 déléguées. Ouvrières, méfiez-vous ! ».

Sur l’exemplaire du journal conservé à la bibliothèque (BMD), Marguerite Durand a annoté et signé de sa main : « Encore une petite infamie ! Le congrès du travail féminin n’a pas reçu un franc de subvention. J’en ai fait, personnellement, tous les frais qui, d’ailleurs, ont été minimes ». Il faut se rappeler que depuis l’affaire Berger-Levrault en 1902, l’ancienne directrice de La Fronde est très mal vue par les syndicats masculins.

Finalement, l’Office n’obtiendra pas les crédits espérés et ne pourra guère agir.

Cependant, dans le numéro du 21 août 1914 de La Fronde figure un article sur l’Office du travail et des intérêts féminins, qui existe toujours et « dont tous les frais ont été jusqu’à ce jour supportés par Mme Marguerite Durand seule » ; l’article énumère les actions menées par l’Office en faveur de divers syndicats féminins (fileuses du Gard, employées des omnibus, etc.) et souligne l’importance considérable des documents qu’il a réunis. Il se déclare prêt, « étant donné les circonstances actuelles (…) [à] procurer du travail aux femmes de toutes catégories qui s’adresseront à lui et [à] surveiller les intérêts des travailleuses ». La Première Guerre mondiale ne fait que commencer…

 
Annie Metz, « Marguerite Durand et l’Office du travail féminin »
Extrait du Bulletin Archives du féminisme, n° 13, décembre 2007