Moulon (A.), Le Conseil national des femmes françaises

Communément appelé CNFF, le Conseil national des femmes françaises, la plus ancienne association féminine encore en activité aujourd’hui, a déposé, à titre révocable, la majeure partie de ses archives historiques au CAF. Né en 1901, il est la première fédération française d’associations féminines, le représentant de la France au CIF (Conseil international des femmes). Son identité se forge sur des marqueurs spécifiques : autrefois la revendication de l’apolitisme (c’est aujourd’hui le concept du multipolitisme qui l’emporte au sein de son Comité directeur), la laïcité, la stratégie du réformisme législatif pour obtenir pour les femmes une situation meilleure, la discrétion médiatique et enfin le respect de valeurs morales. Les regards extérieurs ajoutent à la liste un certain élitisme intellectuel et social.

Le fonds CNFF, classé par une étudiante de maîtrise d’histoire de la filière archives de l’université d’Angers, a reçu la cote de classement 2 AF [1]. Il mesure 3,5 ml (mètres linéaires). Ses dates extrêmes débordent la vie de l’association par la présence de correspondance privée de Sarah Monod, première présidente du CNFF, et s’établissent ainsi : 1882-2001. Ce fonds pourrait s’enrichir (cela reste une éventualité) de pièces d’archives supplémentaires et complémentaires. On notera, par exemple, que les registres des délibérations du bureau et du comité du CNFF après la Seconde Guerre mondiale sont actuellement conservés au siège parisien de l’association, ainsi que les archives relatives aux sections implantées en province.
Des archives d’anciennes adhérentes correspondant à une activité au sein de l’association, ont fait l’objet de dons à titre personnel. Conformément à leurs vœux et une fois le statut de ces archives réglé, ces documents ont été intégrés au fonds.
L’histoire de l’association explique la composition fragmentaire du fonds 2 AF, inadapté à rendre une vision égale et complète des activités du CNFF sur son siècle d’existence. Pour quiconque s’intéresse à son histoire, la précision est importante. A défaut de pouvoir regrouper ses archives dans un local propre à leur conservation, l’association a délégué cette responsabilité à ses militantes. Les archives furent de fait dispersées et parfois même assimilées au patrimoine personnel. A la perte irréversible de documents s’ajoute, en corollaire, la disparition de pans entiers de la vie de l’association.
Les archives du fonds 2 AF sont dans l’ensemble dans un bon état de conservation matérielle. Leur support est aujourd’hui exclusivement papier. Il s’agit essentiellement de correspondance avec les pouvoirs publics, avec le CIF auquel le CNFF est affilié depuis sa création, avec des associations…, puis de documents de fonctionnement (finances, membres…), de publications de l’association (notamment les actes des Etats généraux du féminisme de 1929 et de 1931, journal et bulletins…), de documents de travail émanant des commissions thématiques de travail du CNFF et de leur documentation (Travail, Législation, Hygiène/Santé…). Le fonds ne comporte pas de documents iconographiques.

L’accès inédit à l’ensemble des archives de l’association (fonds classé 2 AF et archives non classées conservées au siège) a permis de faire de l’association féminine nationale l’objet d’un mémoire d’histoire [2]. L’étude a été stimulée par la compréhension de l’enjeu de mémoire sous-jacent et par la nouveauté que représentait une réflexion ciblée sur des données largement inconnues du grand public.
La détermination des bornes chronologiques de l’étude s’est appuyée sur plusieurs paramètres. L’histoire de l’association sous la IIIème République ayant déjà été balisée grâce aux thèses de Laurence Klejman et Florence Rochefort d’une part et de Christine Bard d’autre part, il a été décidé de pousser plus en avant la connaissance de ce mouvement associatif particulier pour la période s’étendant du « creux de la vague » [3] aux années radicales ; 1944 faisant référence à la reprise des activités de l’association après quatre années d’interruption imposées par l’Occupation allemande. Le bulletin trimestriel éponyme, « CNFF », publié entre 1955 et 1978 est une ressource fondamentale du fonds 2 AF pour approcher l’association dans sa dimension fonctionnelle et militante. En complément, des témoignages oraux ont été recueillis, durant la période étudiée, auprès des derniers membres actifs aujourd’hui encore vivants. L’une des caractéristiques du Conseil est, en effet, d’avoir été animé par des femmes socialement, économiquement et culturellement privilégiées et d’une moyenne d’âge relativement élevée.
A partir de l’affirmation « le Conseil national n’est pas une association comme les autres » [4], l’étude s’est intéressée à la volonté fondatrice du CNFF d’être une fédération d’associations féminines et de fonctionner comme telle. La marge entre théorie et faits apparaît par l’approche de l’organisation de l’association, de ses conditions d’exercice matérielles, des idées de ses actrices principales (notamment ses présidentes : Mmes Pichon-Landry, Lefaucheux, Chevalley, Tonnet-Imbert et Troisier) et enfin, des stratégies développées, des relations nouées et des réseaux d’action utilisés. Le regard féminin porté par l’association non mixte sur son temps et ses mœurs révèle les sensibilités de l’association et conditionne ses choix de lutte. Il est à l’origine d’initiatives revendicatrices pour un avenir différent où les hommes et les femmes seraient égaux en droits, où les femmes auraient une place à part entière dans la sphère publique.

Le caractère lacunaire des archives du CNFF lègue à l’histoire une vision qu’on savait d’avance rester incomplète et imparfaite. Il oppose une « résistance » à la conviction de détenir la « vérité » sur le sujet et renvoie bien plus souvent à des impressions, à des hypothèses et à des déductions plutôt qu’à des affirmations appuyées sur des faits probants. La dimension humaine de ce que fut le CNFF, à cette époque, échappe de même en grande partie à l’observation, l’écrit – tel qu’il est consigné ici – rendant encore son appréhension difficile.

 
 Aude Moulon, « Le Conseil national des femmes françaises »
 Extrait du Bulletin Archives du féminisme, n° 6, décembre 2003

 

[1] Aude Moulon, Répertoire numérique détaillé du fonds CNFF, 2003. En ligne sur le site du CAF.

[2] Aude Moulon, Le Conseil national des femmes françaises, 1944-1981, 2003. Mémoire réalisé sous la direction de Christine Bard.

[3] Laurence Klejman et Florence Rochefort, L’égalité en marche. Le féminisme sous la Troisième République, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1989. Christine Bard, Les filles de Marianne. Histoire des féminismes : 1914-1940, Fayard, 1995.
« Le creux de la vague » est une image développée par Sylvie Chaperon dans Le creux de la vague : mouvements féminins et féminismes, 1945-1970, Institut universitaire de Florence, 1996.

[4] Fonds CNFF, 2 AF 46, bulletin de juillet 1964, p. 4.