Pavillard (A.-M.), Les ressources sur les résistantes

Enquête menée par A.-M. Pavillard en 2002 à l’occasion de la rédaction du Guide des sources. 

Dans le premier numéro de la revue CLIO, en 1995, consacré aux thèmes de la résistance et de la libération en France [1], Françoise Thébaud expliquait en introduction l’objectif de ce numéro : faire émerger « la ville engloutie », « la peupler de noms et de visages ». Elle partait du constat que, à l’exception de quelques figures comme Danielle Casanova ou Berthie Albrecht, les résistantes furent longtemps « les grandes oubliées » de l’histoire, qui avait donné jusqu’ici une définition avant tout militaire de la résistance : oubliées de la reconnaissance officielle (6 femmes Compagnons de la Libération sur 1059), oubliées de la mémoire collective forgée par les associations et les musées de la Résistance, oubliées de l’historiographie qui a longtemps privilégié l’étude des actions armées.

Depuis, les choses ont heureusement un peu évolué, plusieurs recherches ont été consacrées à ce sujet, d’autres sont en cours actuellement. Mais beaucoup reste encore à faire. C’est pourquoi l’association Archives du féminisme, dans le cadre de la constitution d’un Guide des sources sur l’histoire du féminisme, a commencé à contacter plusieurs centres de documentation ou musées consacrés à la résistance, en leur demandant de lui signaler s’ils possédaient des archives concernant des femmes résistantes.

Si ce travail est loin d’être achevé, les premières réponses obtenues confirment le rôle important que les femmes ont bien souvent joué dans la résistance, et ouvrent certainement de nouvelles perspectives de recherche sur cette « ville engloutie ».

ŸLes archives de l’Association nationale des anciennes Déportées et Internées de la Résistance (ADIR) ont été déposées à la Bibliothèque de documentation internationale contemporaine (BDIC), à Nanterre : on y trouve notamment la liste des résistantes déportées à Ravensbrück, 90 fiches biographiques de résistantes mortes en déportation, ainsi que de nombreux documents sur les expérimentations pseudo-scientifiques exercées dans les camps et toutes les activités de l’association après la guerre pour obtenir l’indemnisation des victimes de ces pratiques (stérilisation, expériences hématologiques, inoculation du typhus et du choléra au camp de Mauthausen…).

Le Musée de la résistance et de la déportation de Besançon conserve les archives de plusieurs résistantes : celles de Germaine Tillion, qui recensent l’ensemble des femmes déportées de France, quels que soient leur motif d’arrestation, leur nationalité et leur lieu d’internement (en tout 34 boîtes d’archives !), de Marie-Claude Vaillant-Couturier (ses lettres à sa famille envoyées du Fort de Romainville, puis d’Auschwitz et de Ravensbrück), ou encore des dessins au crayon réalisés par des déportées pendant leur détention et miraculeusement conservés jusqu’au bout (portraits de camarades internées, scènes intérieures dans les baraques).

ŸSignalons également le Centre d’histoire de la Résistance et de la Déportation de Lyon, pour qui« la résistance féminine est une facette largement valorisée » dans son projet muséographique et qui, dès ses débuts en 1992, a recueilli de nombreux témoignages de résistantes et déportées, dont on ne citera ici que quelques éléments : le fonds Stefen Meller « Femmes dans la résistance : quelques résistantes dauphinoises et d’autres… », avec les portraits et biographies de plusieurs d’entre elles, le fonds Marguerite Ravassard, alias « Mariette », avec son manuscrit « Mariette, 1939-1945 : quelques anecdotes lors de certaines missions », ou encore le fonds Dora Schaul, avec son tapuscrit « Une femme dans les services de la Wehrmacht », et les faux papiers qu’elle utilisait en 1943.

ŸAu Musée de la Résistance nationale, à Champigny-sur-Marne, on trouvera de nombreux fonds concernant les femmes dans la résistance et la déportation : ceux de Marie-Elisa Cohen, de Marie-Claude Vaillant-Couturier, de l’UFF, de l’Union des femmes juives de France ,… On y trouve aussi des petits journaux clandestins réalisés dès 1940 par des groupes de femmes et signés « Comité populaire féminin », appelant à manifester pour le retour des prisonniers de guerre ou pour des tickets d’alimentation.

ŸLa Bibliothèque du Musée de l’homme,à Paris, conserve les archives d’Yvonne Oddon, fondatrice de cette bibliothèque lors de la création du Musée de l’homme, en 1937, et qui fut l’une des initiatrices d’un des premiers réseaux de résistance, en 1940, le Réseau du Musée de l’homme. Parmi les membres de ce réseau, plusieurs femmes, agents de propagande et de liaison, agents de renseignement, les unes associées à la réalisation et à la diffusion du journal Résistance, d’autres à une ligne d’évasion, avec organisation de l’hébergement et du ravitaillement des prisonniers évadés … Plusieurs furent arrêtées et condamnées à mort, leur peine étant ensuite commuée en déportation à Ravensbrück puis Mauthausen, d’où elles furent rapatriées en avril 1945 [2].

ŸÀ la Bibliothèque municipale de Toulouse, le Centre d’études et de recherches sur la résistance toulousaine conserve plusieurs témoignages, dont celui de Jane Sivadon, secrétaire générale du mouvement Combat dans la zone occupée, arrêtée en 1942, détenue en prison durant deux ans et condamnée à mort, avec 17 hommes et 5 autres femmes, lors d’un procès à Sarrebruck. La peine de mort des femmes ayant été commuée en détention à perpétuité, elles furent déportées à Ravensbrück. Son témoignage, lors d’une « causerie » à son retour, en 1945, reflète bien ce que fut la résistance pour beaucoup de femmes : « En écoutant l’acte d’accusation, grande fut notre joie quand nous avons entendu cette phrase : « Les accusés […] seront punis au maximum parce qu’ils sont à l’origine d’un mouvement de résistance qui met l’armée d’occupation en danger ». Nos cœurs étaient enflés de joie et, j’ose l’avouer, de fierté face aux Allemands. […]. Mon assurance suffisait pour dire à la Haute Cour : « C’est ainsi que sont les femmes françaises » ».

D’autres réponses au questionnaire de l’Association nous sont encore arrivées tout récemment (celle du Musée de la résistance azuréenne, à Nice, qui possède plusieurs témoignages de résistantes, celle du Mémorial de Caen où l’on trouve les archives d’Anna Marly, la créatrice du mythique « Chant des partisans » (Ami entends-tu le vol noir des corbeaux sur nos plaines…), traditionnellement attribué à Maurice Druon et Joseph Kessel, qui n’en furent en fait que les traducteurs.

Et nous attendons encore plusieurs réponses, que nous espérons positives… Mais, dès maintenant, ce bref compte rendu montre bien que de nombreuses pistes restent ouvertes à toutes celles et tous ceux qui s’intéressent à ce sujet : le rôle des femmes dans la résistance en France.

Anne-Marie Pavillard, « Les ressources sur les résistantes ».
Extrait du Bulletin Archives du féminisme, n° 4, 2e semestre 2002.

 

[1] « Résistances et Libérations (France 1940-1945) », CLIO, Histoire, femmes et Sociétés, n° 1, 1995.

[2] Depuis cet article, le Musée de l’homme a fermé pour travaux, pour une longue durée : ces archives sont maintenant conservées à la Bibliothèque du Museum national d’histoire naturelle.