La place des femmes dans la toponymie urbaine

Les articles ci-dessous ont été rédigés dans le cadre d’une réflexion (lancée dans le Bulletin en 2004-2005) sur la place symbolique des femmes dans la cité.

– Château-Gontier (53), par Valérie Neveu
– La Ville-aux-Dames (37), par Pascale Goux, Carole Jegoux et Annie Bonnaud
– Angers (49), par Corinne Bouchoux
– Rennes (35), par Colette Cosnier
– Poitiers (86), par Nicole Pellegrin, Nancy, par C. Bard, Paris, par E. Viennot

Valérie Neveu, La place des femmes dans la toponymie urbaine à Château-Gontier
Extrait du Bulletin Archives du féminisme, n° 8, décembre 2004

Château-Gontier

83 noms de personnes : 77 hommes (93 %) et 6 femmes (7 %)
10 saints : 9 hommes (90 %) et 1 femme (10 %)

L’agglomération de Château-Gontier, sous-préfecture de la Mayenne et capitale du Haut-Anjou, réunit les bourgs limitrophes de Bazouges [1], Azé et Saint-Fort. L’ensemble fait 16 000 habitants. La ville de Château-Gontier seule ne dépasse pas 9000 habitants. Malgré cette faible population qui évoque plutôt un gros bourg, Château-Gontier a bien les caractéristiques d’une ville. Sous l’Ancien Régime siège de tribunaux, d’un collège et de plusieurs établissements ecclésiastiques, sous-préfecture en 1800, Château-Gontier possède plusieurs monuments historiques, de beaux hôtels particuliers du XVIIIe s. habités jadis par la noblesse, et des maisons de maître des XIXe et XXe s. construites pour la bourgeoisie.

On distingue à Château-Gontier plusieurs quartiers d’époques différentes :

•  le centre ville historique ou « haute ville » (jadis enclos dans des murailles), rive droite de la Mayenne. Les premiers travaux d’embellissement et de modernisation remontent au début du XIXe s. A partir de 1820, la ville commence son extension territoriale appuyée sur des plans d’urbanisme. La ville du XIXe s. s’étendra vers l’ouest sur une surface doublée par rapport à la ville médiévale. Cette extension sera forcément limitée, la commune de Château-Gontier étant petite et enserrée par les communes voisines de Bazouges, Saint-Fort et Azé.

•  en vis-à-vis, de l’autre côté de la Mayenne, le faubourg, quartier également ancien, où étaient implantés le couvent des Ursulines (aujourd’hui centre culturel), le collège (aujourd’hui lycée), et un Hôtel-Dieu (aujourd’hui Centre hospitalier du Haut-Anjou).

•  les quartiers périphériques, lotis au XIXe ou au XXe s. : au-delà du faubourg, vers l’est, et de part et d’autre de la route d’Angers, au sud.

Il existe encore dans la ville une forte proportion de noms anciens hérités du Moyen Age ou de l’Ancien Régime. Les noms étaient à cette époque attribués par l’usage populaire. Au XIXe s., avec les plans d’urbanisme, on a commencé à prévoir les noms de rues en même temps que les tracés, et la dénomination est devenue une attribution de la municipalité. Les conseils municipaux avaient alors comme sources d’inspiration les microtoponymes traditionnels (nom de champ, de ferme…) et les noms de personnes, un usage nouveau puisque les premiers exemples trouvés pour Château-Gontier sont de 1832. Ce sont des « noms de personnes », mais s’agit-il obligatoirement d’hommes ? Est-ce une évidence implicite pour les édiles de cette époque ? On peut en discuter, comme je l’exposerai un peu plus loin.

En 1832, il s’agit de nommer de nouvelles rues ; bientôt on imaginera de débaptiser les rues anciennes au profit de personnalités locales. Après un premier cas anecdotique en 1845, le mouvement s’amorce en 1860, mais reste encore discret sous le Second Empire. La manie de rebaptiser commencera à causer de sérieux dégâts au patrimoine toponymique de la ville à la fin du XIXe s., et s’aggravera tout au long du XXe s. Le XXe s. verra par ailleurs la création de plusieurs quartiers neufs, ce qui obligera la municipalité à trouver des noms pour ces nombreuses nouvelles rues : comme partout, noms d’arbres et d’oiseaux sont mis à contribution, et bien entendu aussi, les noms de personnes. Le vivier des célébrités locales s’épuisant, on se rabattra souvent sur des personnalités nationales consensuelles – les municipalités successives de Château-Gontier étant « modérées » et conformistes. La place des femmes (6 noms) est faible mais pas nulle, et en proportion conforme sans doute à ce qui a pu être observé ailleurs : environ 7 % du total des noms de personnes sur le territoire de Château-Gontier [2].

Attention, ce « corpus » n’est pas forcément exact, en raison d’un problème récurrent : l’absence de prénom, qui rend le repérage des femmes très délicat et oblige à passer en revue l’ensemble des noms de personnes pour tenter de les identifier, grâce à divers ouvrages d’histoire locale, qui s’intéressent surtout au Moyen Age et à l’Ancien Régime.

Les dénominations du XIXe siècle

Rue Dublineau, nom donné en 1832. Parmi les membres de la famille Dublineau installés à Château-Gontier, je crois que la ville a voulu honorer Mlle Dublineau, qui légua en 1778 20 000 francs pour la maison des incurables fondée en 1769, car cette rue nouvelle ouverte en 1825 débouche précisément en face de l’hospice des Incurables (le bâtiment existe encore aujourd’hui). Mais le registre de délibérations du 10 mai 1832 ne donne aucune précision sur le personnage et ne fournit pas d’autre explication, sinon une déclaration d’intention générale qui s’applique à un lot de rues dénommées en même temps : « des noms empruntés à l’histoire du pays ou pouvant rappeler des actes de bienfaisance ». [3]

Rue de Razilly (anciennement : route d’Angers) : dans sa généalogie familiale [4], le marquis de Rasilly confirme que c’est bien une femme que la ville a honorée parmi les membres de la famille de Rasilly ou Razilly, d’origine tourangelle, installée à Château-Gontier dans le premier tiers du XIXe s.  » [Aure-Adèle-Anne-Louise Bourdon de Gramont, marquise de Razilly] fut l’une des principales bienfaitrices des établissements religieux de [Château-Gontier] et la municipalité reconnaissante a donné son nom à l’une des principales rues « . La marquise donna 25 000 F pour l’achat d’une maison contiguë à Saint-Joseph, rue du Sable [qui croise la rue de Razilly] et pour la fondation d’une maternité ; à la fin de sa vie, elle renouvela ses dons pour les établissements hospitaliers et pour la reconstruction de l’église Saint-Rémi. Le nom de Razilly a été donné en 1862 de façon étrange : la rue s’appelle toujours « route d’Angers » le 14 novembre 1861 ; le 15 février 1862 le maire annonce la pose d’une nouvelle plaque de rue, sans que la décision de changer de nom apparaisse dans les délibérations. D’ailleurs la marquise est toujours vivante : elle ne décédera que le 25 juin 1863. Cela paraît curieux, mais après tout, il n’est pas interdit de dénommer une rue du vivant d’une personne.

Rue Lecercler, nom donné en 1891 : Renée Lecercler, fondatrice en 1662 d’un hospice pour orphelins (aujourd’hui hospice Saint-Joseph, maison de retraite). Là encore, il y a plusieurs Lecercler dans l’histoire de Château-Gontier. Le fait que la rue longe les bâtiments de Saint-Joseph m’incite à croire que c’est bien à Renée que l’on a pensé.

Si ces personnages sont toutes les trois des femmes, comme je le crois, elles sont complètement « invisibilisées » par l’absence de leur prénom ou de leur « civilité ». Aujourd’hui, personne à Château-Gontier ne sait de qui il s’agit, mais cet oubli total n’est pas réservé aux femmes (est-ce une consolation ?). Les nombreux maires et médecins charitables du XIXe s. qui ont laissé leur nom aux rues castrogontériennes sont tout aussi obscurs, en l’absence de toute indication biographique sur les plaques. A vrai dire, aucun historien local ne s’est penché sur la période du XIXe et de la première moitié du XXe s., pourtant fort intéressante. Par conséquent, personne n’a réclamé à la mairie la pose de plaques plus informatives.

Si mon identification est correcte, on notera la caractéristique commune à ces trois femmes : ce sont toutes des bienfaitrices, fondatrices de maisons hospitalières dans trois siècles différents. C’est à ce titre que la ville de Château-Gontier a reconnu le rôle des femmes et a voulu en perpétuer la mémoire – tout en n’osant, pas peut-être, les désigner individuellement et nommément [5]. La lecture des registres de délibérations du XIXe s. montre d’ailleurs la part importante des femmes dans la bienfaisance. Après mon balayage rapide des registres, j’ai l’impression que les donateurs aux hospices administrés ou contrôlés par la ville étaient aux deux tiers… des donatrices.

Les dates montrent qu’au XIXe s. la ville a donné à ses nouvelles rues un nom de femme tous les 30 ans ! Soit un score de 3 pour deux tiers de siècle, pas extraordinaire, mais pas négligeable non plus, d’autant qu’après c’est le silence. Si on continue à sauter de 30 ans en 30 ans, on ne trouve rien vers 1920, et rien vers 1950. La vague de nouvelles nominations liées à la Seconde Guerre mondiale n’a mis en avant aucune femme. On a rendu hommage aux victimes collectivement (Martyrs et Déportés), et on a honoré un résistant, A. Counord, mais pas de résistante.

Les dénominations des XXe et XXIe siècles

Ce n’est que vers 1970 que l’attribution de noms féminins reprend. Ces noms ont été attribués pour des raisons diverses : les uns sont intéressants car témoins de l’histoire locale, d’autres sont beaucoup plus banals, sans lien avec l’histoire de Château-Gontier mais cependant témoins de leur temps et des modes qui conditionnent les dénominations.

Rue Lucie Delarue Mardrus : en hommage à la femme de lettres originaire de Honfleur qui passa à Château-Gontier les dernières années de sa vie (1938-1945), dans deux demeures : l’une en centre ville, et l’autre à la sortie de la ville dans la direction d’Angers. Le terrain de cette résidence (nommée Gerthelie) fut utilisé ensuite pour construire un lotissement. C’est à cette occasion sans doute que l’ancienne rue des Loges, qui portait encore ce nom en 1966, fut rebaptisée rue Lucie Delarue-Mardrus (je n’ai pas retrouvé la date exacte ni les circonstances). C’est le seul cas à Château-Gontier dans lequel un nom traditionnel ait été changé au profit d’un nom de femme.

Rue Pierre et Marie Curie : on m’objectera peut-être que c’est le couple qui est honoré, et non la titulaire du prix Nobel seule. On pourra difficilement trouver une raison féministe à cette dénomination banale. Elle est attribuée à une rue neuve, à proximité du lycée technique, près de la rue Edouard Branly et de la rue Paul Langevin, formant ainsi un petit coin des scientifiques. Le quartier date du milieu des années 1960.

Rue Jeanne Sablé (rue ouverte en 1974, dans un lotissement récent) : « Le conseil tenait ainsi à rendre hommage à la première femme entrée au conseil municipal [la date n’est pas précisée] et aussi à la carrière de Mme Sablé qui a consacré 20 ans de sa vie au collège de Ch.-G. où elle dirigeait les ‘petites classes’ » (Jean Godin, Bulletin des anciens élèves du lycée, 1975). Cette dénomination est intéressante, et unique en son genre à Château-Gontier, puisqu’il s’agit bien là d’honorer une « première » – première femme dans une fonction jusque là réservée aux hommes – en même temps qu’une éducatrice.

Citons enfin pour mémoire : rues, impasses ou allées Simone Signoret, Colette, Billie Holiday, Hélène Boucher, Jacqueline Auriol, Maryse Bastié, Marie Laurencin, Edwige Feuillère. Ces gloires de la littérature, de la musique, de l’art dramatique ou du sport ont trouvé leur place à une date récente dans des lotissements aux appellations impersonnelles.

Les absentes

Il faut reconnaître que Château-Gontier manque de femmes célèbres. Toutefois, quelques femmes connues en leur temps, citées par l’abbé Foucault, n’ont pas été immortalisées par un nom de rue :

•  Virginie Letaillandier, poétesse et romancière (première moitié du XIXe s.)

•  Sophie Leroyer de Chantepie (1800-1888), femme de lettres, née à Château-Gontier, ville qu’elle quitta à l’âge de sept ans ; vécut à Angers. Si son oeuvre littéraire est bien oubliée, on retient d’elle qu’elle fut en correspondance avec George Sand et Flaubert.

•  Mlle Léon Duval, cantatrice du Second Empire.

Si l’on se tourne vers l’histoire de la ville, on constate que les baronnes de Château-Gontier sont toutes absentes ; il est vrai que les seigneurs de Château-Gontier (hommes) n’ont pas eu beaucoup plus de succès. Plus intéressante, l’absence de deux femmes célèbres, mais trop marquées par la Contre-Révolution. Les municipalités de Château-Gontier, devenues « républicaines » quoique la population fût chouanne de coeur, ont évité d’attirer l’attention sur elles :

•  Monique L’Huillier, soeur hospitalière, exécutée en 1794. Elle passe pour une « martyre de la Révolution ». Le motif de son procès fut le vol d’objets inscrits à l’inventaire, d’après les abbés Foucault et Angot [6] (qui dénonce la mauvaise foi des révolutionnaires !). On peut soupçonner qu’il y eut une autre raison, plus sérieuse. Les édiles ont pu penser eux aussi qu’il y avait quelque chose de trouble dans la fin de la soeur Monique, d’où prudente abstention.

•  Lucrèce Mercier, soeur du chef royaliste Mercier la Vendée, fiancée de Georges Cadoudal. A vécu au Lion d’Angers et à Château-Gontier où ses parents tenaient l’hôtellerie du Louvre. La maison existe toujours, dans le faubourg. Après l’exécution de Cadoudal (1804), elle entra au couvent des Ursulines de Château-Gontier. Les historiens les plus récents n’omettent pas de la citer, souvent avec sympathie. Gageons que sa réputation n’était pas si bonne par le passé : fille d’auberge, soeur et fiancée de rebelles, certes devenue Ursuline, mais admise avec réticence parmi les soeurs… tout cela ne parlait pas en sa faveur.

 

[1] Depuis 1990, Château-Gontier a fusionné avec la commune voisine de Bazouges.

[2] Avant fusion. Je parlerai plus bas de noms de femmes impersonnels, attribués récemment dans des lotissements aux dénominations impersonnelles et sérielles (le coin des musiciens, des sportifs…) : ils se situent dans des lotissements périphériques, notamment à Bazouges. Azé, qui compte peu de noms de personnes dans sa toponymie, a choisi d’honorer une femme chef d’entreprise, Jeanne Vivez, initiative sans doute rare.

[3] C’est la première fois que la ville attribue des noms de personnes à des rues. Dans ce lot, on compte un nom  » géographique  » (Craonnaise) et cinq noms de personnes (René d’Anjou, Gilles Marais, Dublineau, Garnier, Cottelière), respectivement : personnage historique (XVe s.), principal et rénovateur du collège (XVIIIe s.), bienfaiteurs (XVIIIe s.)

[4] Rasilly (marquis de), Généalogie de la famille de Rasilly, Laval, 1903, p. 476.

[5] Donner un patronyme sans prénom permettait d’honorer l’ensemble d’une famille. On a pratiqué ce système aussi pour des hommes : ex. rue Trochon, en l’honneur d’un ancien maire (René), mais aussi pour préserver la mémoire d’une famille « dont plusieurs membres ont successivement administré la ville » (1869).

[6] Foucault (abbé Martin), Documents historiques sur Château-Gontier, 1883.
Angot (abbé A.), Dictionnaire historique de la Mayenne, Laval, 1900-1909, rééd. Mayenne, 1962.

 
 
Pascale Goux, Carole Jegoux et Annie Bonnaud (Café des femmes – Tours), « La surprenante histoire de La-Ville-aux-Dames »
Extrait du Bulletin Archives du féminisme, n° 8, décembre 2004

La Ville-aux-Dames

Située tout près de Tours, en Indre-et-Loire, La-Ville-aux-Dames est une commune de près de 5 000 habitants, remarquable par une particularité unique en France : toutes les rues portent des noms de femmes.

A l’origine, au Xe siècle, Hildegarde y avait édifié l’abbaye de Saint-Loup. Les religieuses constituant la majeure partie de la population, le lieu prit le nom de « Villa Dominarum », domaine des religieuses, puis devint « La-Ville-aux-Dames ».

C’est en plein dans les années 1970, le 13 mars 1974 précisément, que, sur proposition du maire, M. Delaunay, le conseil municipal décide de désigner les rues de la commune par des noms de femmes célèbres. Ainsi trente premières femmes sont choisies pour rebaptiser des rues qui portaient des noms de lieux-dits. Nous avons noté dans le relevé de décisions municipal des fautes dans l’orthographe de certains noms des femmes et non des moins célèbres.

Aujourd’hui, on recense 75 avenues, rues, allées et impasses qui portent presque toutes des noms de femmes :
  15 sont des artistes (comédiennes, musiciennes, peintres, chanteuses)
  14 sont des femmes connues pour leur engagement politique
  11 sont célèbres pour leurs charmes
  9 sont des aventurières, sportives ou héroïnes (Jeanne d’Arc et Jeanne Hachette)
  8 sont des écrivaines
  7 sont des inspiratrices ou tenaient des salons littéraires
  2 sont des scientifiques : Marie Curie et Françoise Dolto.

Il existe aussi une rue Madame et une rue Mademoiselle.

Seules voies ne portant pas des noms de femmes : la place du Onze Novembre et la rue des Levées.

Mais attention, il s’est glissé une intruse dans cette ville à la toponymie rêvée : « La Dame en Noir » qui fut le nom de résistant d’un abbé de La-Ville-aux-Dames, figure de la résistance tourangelle.

Il est à noter que les édifices municipaux portent eux aussi des noms de femmes : le centre socioculturel Camille Claudel, les salles municipales George Sand, Bernadette Delprat et Maryse Bastié, les écoles Marie Curie et Colette et la résidence pour personnes âgées Jeanne Jugan.

Nous pouvons apprécier l’éclectisme et la diversité des noms de femmes célèbres (ou moins célèbres) retenus. A tel point que nous avons lu sur un panneau « ZAC du Champmeslé » !!

L’heureuse initiative de la municipalité prendrait tout son sens pédagogique si tous les panneaux de rues spécifiaient pour chacune de ces femmes remarquables leurs dates de naissance et leurs actions.

Ayant sans doute peur de laisser toutes ces dames seules, en 1979, la municipalité a conclu un mariage avec la ville d’Hommes (autre commune d’Indre-et-Loire) !

***

 
Corinne Bouchoux, « Les noms de rue dédiés aux femmes à Angers »
Extrait du Bulletin Archives du féminisme, n° 8, décembre 2004

Angers

L’analyse méthodique des noms de rue donnés à des femmes met en relief de manière indirecte, complexe, et en grande partie inconsciente, la place des femmes dans l’espace public. En 1976, à feuilleter les annuaires et ouvrages de noms de rues à Angers, on trouve pour 502 noms d’hommes 22 femmes (saint-e-s exclu-e-s). Seulement 4 % des noms de rue sont dédiés à des femmes. En 1976 sur ces 22 rues, 8 sont attribués à des résistantes (36 %), alors que pour 502 hommes, on trouve 64 résistants de sexe masculin (12,8 %). Quelles sont donc ces femmes qui furent jugées dignes de donner leur nom à une rue ? Quelle est l’évolution récente ?

On note une volonté modeste mais bien réelle de prendre en compte de façon croissante les femmes dans l’attribution des noms de rue. D’après un décompte manuel, entre 1977 et 1998, 16 artères angevines de taille et localisation variées, sont données à des femmes. On y trouve des héroïnes locales (1/4 des effectifs) telles Christine Brisset (1898-1993), la  » Jeanne d’Arc des squatters « , dont on donne le nom à un square le 27 mars 1993. S’ajoute Jeanne Canonne (24 avril 1978, son nom fut ajouté à celui de son mari et d’autres couples de résistants : rue Edmond et Renée Couffard ou Yves et Jeanne Kerhamon. Sans oublier Ginette Leroux (1942-1987) ancienne députée du Maine-et-Loire, PS, féministe, pour qui on a en 1990 abrégé la règle des cinq ans avant de donner le nom d’une rue à une personne défunte.

Notons à cette période quelques ajustements tels la « rue de la Juiverie » qui devient le 21 mars 1984 la rue Anne Frank. Les femmes illustres et les grandes dames constituent la grande majorité des nouvelles dénominations choisies par la municipalité Monnier (1977-2001). Du côté des valeurs sûres (également présentes au plan national), on trouve Agatha Christie, en mars 1993, juste après Edith Piaf (1915-1963) en 1986, aux côtés de Simone Signoret (1921-1985), enfin, Romy Schneider (1938-1982), en 1992.

Peu de féministes parmi ces célébrités… Au rang des premières, on salue en 1991 la première femme reçue à l’Académie française, Marguerite Yourcenar (1903-1980). La médecine n’est pas oubliée, avec le square Françoise Dolto (1908-1988) qui honore en 1990 la célèbre psychanalyste. Aux confins de la littérature et de l’engagement, on trouve en cherchant bien le square Flora Tristan (1803-1844), féministe bien connue du XIXe siècle et la plus modérée George Sand (1804-1876) en 1990.

Force est donc de constater que ces trente dernières années, la féminisation des noms de rue s’est accrue, indice de l’attention plus vive de quelques actrices/acteurs de la vie municipale locale. Néanmoins, ces rues sont souvent de taille modeste et les squares sont sur-représentés. De toutes ces artères féminines, la plus fréquentée est sûrement l’avenue Yolande d’Aragon (1379-1443) en bordure de Maine, dans un quartier en plein développement, à proximité du futur Nouveau Théâtre d’Angers. Qu’en était-il avant 1977 ? En laissant de côté les résistantes (8 sur 22), dominent les bienfaitrices locales, parfois peu perceptibles à la simple lecture des plaques, telle la rue Henry Gréville. Il s’agit en fait de madame, ayant écrit plus de 300 volumes, dont un roman « à succès ». Jeanne Jugan (1792-1879) fonde une congrégation d’aide aux pauvres à l’instar de Françoise Joséphine Guillory (1797-1847) qui fonda une société, les Salles d’asile, et profite d’une rue Leclercq-Guillory. N’oublions pas Marie Placé (1840-1921) bienfaitrice qui légua sa fortune aux pauvres, à la manière de Mulot (passage), qui cache Mlle Mulot, bienfaitrice qui elle aussi donna beaucoup aux pauvres. En 1925, la fantaisie d’un propriétaire donne des prénoms féminins à quelques ruelles : rue Renée, rue Thérèse, rue Yvette et rue Yvonne. Plus connue que ces demoiselles, la rue de Sévigné (1626-1696).

La prise de consciente assez récente de la faible visibilité des femmes dans l’espace public se traduit aussi par un souci de réhabiliter certaines femmes. Ainsi, une commune limitrophe d’Angers, Trélazé, a-t-elle pris l’initiative d’ajouter le nom de Célestine Forest à celui de son mari Louis Forest, trente ans après que, en 1973, une rue ait été baptisée du nom de son époux. Tous deux avaient été arrêtés, lui fut déporté au camp de Dora où il décéda, et elle revint après deux années à Ravensbrück. Elle devint conseillère municipale de la ville ardoisière de Trélazé de 1945 à 1953. En mai 2004, le mairie de Trélazé, Marc Goua, justifie le changement : « aujourd’hui que les femmes sont plus nombreuses dans les responsabilités politiques, que notre statue du sculpteur Cacheux, à la gloire de la résistance, placée ces derniers jours devant l’hôtel de ville représente une femme combattante, il était judicieux de réunir sur cette plaque les deux prénoms de ce couple de Trélazéens militants, généreux, courageux, dans leur engagement héroïque pour la reconquête de la liberté » (Le Courrier de l’Ouest, 23 mai 2004). Toute la famille était présente, et Jacqueline Ganeau a pris la parole pour rappeler le rôle primordial des femmes dans la résistance qui « constitue un pan de l’histoire qu’on ne peut plus ignorer « . Œuvrer pour plus de mixité dans la dénomination des voies publiques est aussi une action pédagogique. Sur 9 résistantes angevines distinguées par une rue, 7 étaient décédées en déportation. Des plaques bien faites contribuent aussi au devoir général de mémoire : Anne-Marie Baudin (1888-1945), Henriette Bicard, Jeanne Canonne, Marthe Mourbel (1903-1945), Jeanne Quémard, Yvonne Poirel (1893-1945) et Marie Talet (1884-1944), elle aussi morte en déportation. En 2003 eut lieu une émouvante inauguration à l’occasion du 8 mars de la rue Madeleine Allais.

L’action en faveur de noms de rue de femmes relève souvent du lobbying. Ainsi, en 1939, est inaugurée une rue Hélène Boucher (1908-1934), célèbre aviatrice, suite à une pétition de l’aéroclub de l’Ouest. Seule une étude fine, fastidieuse mais passionnante, des dossiers administratifs des baptêmes de rue, des délibérations en conseil municipal ou en commission, des articles de presse ou courrier des lecteurs dans la presse locale, permettrait de cerner sous un angle qualitatif la mise en place de ces voies féminines. Faire la part de l’intervention des acteurs – élus municipaux – le rôle du contexte local ou national permettrait de mesurer l’impact des initiatives féministes sur la progression des noms de rue attribués à des femmes depuis 1976. Il n’est pas à exclure que l’année 1975 – « année de la femme » – ait permis une prise de conscience de la sous-représentation des femmes dans l’espace urbain.

 
Colette Cosnier, Nicole Pellegrin, Valérie Neveu, Christine Bard et Eliane Viennot
« 
La place symbolique des femmes dans la Cité (Rennes, Poitiers, Nancy, Paris, Marseille) »
Extrait du bulletin Archives du féminisme, n°9 – décembre 2005

Rennes

Des rues et des noms de femmes à Rennes

Il existe à Rennes une rue Postuminus… Ce personnage au nom assez malsonnant est considéré comme le premier Rennais connu puisqu’on a trouvé une inscription votive le concernant. Était-il bon époux, bon père ? administrateur intègre ? fin lettré ou honnête commerçant ? jouait-il un rôle de premier plan dans la vie de la cité ? Nul ne le sait. Mais c’est un homme, et en tant que tel, il est passé à la postérité. En revanche, toutes les Postumina de ce temps-là, leurs filles, leurs petites-filles, leurs arrière arrière arrière petites-filles ont disparu de la mémoire de la ville, il n’y a pas de place ou de boulevard Postumina… On compte à Rennes 1 650 dénominations de rues, dans ce nombre sont compris 900 noms d’hommes et 55 noms de femmes [7], c’est-à-dire 94 % et 6 %. En gros, on peut faire les mêmes remarques qu’ailleurs : quelques noms féminins au XIXe siècle et dans les deux premiers tiers du XXe, et une présence plus affirmée à partir des années 80. Mais à la différence de certaines villes où on peut hésiter à identifier tel ou tel nom, parce que sans prénom et sans autre précision, à Rennes les plaques de rues sont plus bavardes, fournissent les dates et indiquent brièvement le domaine où s’est illustré le personnage. L’idée est bonne, pourtant, parfois, l’inévitable concision aboutit à des résultats saugrenus, voire peu représentatifs : ainsi deux femmes ne sont définies que par le fait d’être filles de mères célèbres, telle autre est une « héroïque infirmière », ou une « femme de bien ». Notons toutefois que les hommes ne sont pas mieux traités ! Si on veut établir un tableau historique de cette présence féminine, il faudrait ajouter à la liste des noms proprement dits ceux de groupes, le plus souvent signalant l’existence de couvents. Subsiste ainsi le passage des Carmélites, et dans le vieux Rennes, une rue qui inspire aux touristes des commentaires gaillards : la rue des Dames, ainsi nommée en souvenir des dames d’honneur d’Anne de Bretagne qui y logèrent lors d’un séjour de celle-ci. Il serait intéressant de s’interroger, aussi bien pour Rennes que pour d’autres villes, sur la présence de noms selon le genre. Dans un cas, presque uniquement des religieuses (donc images de charité et de piété) et dans l’autre des appellations plus variées reflétant un rôle joué dans la vie urbaine : rue des Artificiers, des Tanneurs, du 7e Régiment d’artillerie, ruelle des Chapeliers, ou dans celle de la région : promenade des Bonnets rouges, rue des Trente, voire du pays tout entier : cours des Alliés. Même disproportion en ce qui concerne les saints et les saintes : 23 pour les uns et 4 pour les autres !

Avant 1900. Jusqu’au XIXe siècle, en dehors d’appellations vagues et collectives, il n’y a eu que la place Sainte-Anne, sainte patronne de la Bretagne. Tout aussi inévitable est la Duchesse Anne (1477-1514) : en 1862 on lui consacre un boulevard dans un quartier neuf où elle voisine avec Mme de Sévigné (1626-1696) et la fille de celle-ci, Mme de Grignan (1646-1705) : contrairement à ce qui se produit ailleurs (à Angers par exemple) Mme de Sévigné n’est pas là en tant qu’écrivaine française mais en tant que personnage lié à la ville de Rennes où elle s’est souvent rendue alors qu’elle séjournait dans son château des Rochers près de Vitré. Un boulevard Jeanne d’Arc (1412-1431) est inauguré un peu plus tard, célébrant non pas la sainte qui n’est canonisée qu’en 1920, mais l’héroïne nationale. De la même époque, datent les allées Sainte-Marie, Sainte-Sophie, saluant les deux filles du propriétaire du terrain. Six noms donc de 1862 à 1894.

Jusqu’aux années 50. Le XXe siècle est plus généreux. Dans sa première moitié, dix femmes, dames d’œuvres, écrivaines ou héroïnes, se partagent le terrain. A partir de 1908 se succèdent à Rennes des municipalités de gauche nettement laïques, d’où des dénominations qui peuvent sembler hardies pour l’époque : George Sand (1804-1876) est choisie, en dépit de sa réputation quelque peu scandaleuse, la même année 1913 que Mme Marçais-Martin (1820-1911) « bienfaitrice des hospices ». De même, en 1923 apparaissent les rues Clémence Royer (1830-1902) et Elisa Mercœur (1809-1835), nées toutes les deux à Nantes. Le choix est audacieux pour la première, philosophe, femme de sciences, traductrice de Darwin, féministe, plus discret pour la seconde, poétesse romantique. La Première Guerre mondiale impose le nom d’Edith Cavell (1866-1915), infirmière britannique exécutée par les Allemands et celui de Louise de Bettignies (1880-1918) agent de renseignement de l’armée anglaise, désignée seulement comme « jeune fille héroïque ». A-t-on voulu, au temps de la garçonne, imposer d’autres images féminines plus conventionnelles et susceptibles d’être des modèles ? C’est possible : on retrouve alors les œuvres charitables avec Sophie Michel (1782-1862), bienfaitrice des déshérités, Jeanne Jugan (1793-1879) fondatrice des Petites Sœurs des pauvres, née à Cancale, et si on élit deux écrivaines, on les choisit bien-pensantes : la Rennaise Mme du Campfranc (1846-1908) qui écrit des romans édifiants publiés dans des revues familiales comme Les Veillées des chaumières, et Zénaïde Fleuriot (1829-1890), née à Saint-Brieuc, auteure prolifique de la Bibliothèque rose.

Après la Seconde Guerre mondiale. La deuxième moitié du XXe siècle rend hommage à huit résistantes et/ou déportées : Marie Alizon (1921-1943), Jeanne Couplan (1916-1945), Jeanne Guillon (1889-1945), Marie Lafaye (1891-1945) citée avec son fils Pascal, le plus jeune déporté résistant d’Ille-et-Vilaine, Aline Landais (1899-1956), Herminie Prod’homme (1887-1945), Andrée Récipon (1885-1956), et Anne-Marie Tanguy (1887-1974). Autres noms dans les années 60, choisis par la municipalité de centre-droit : l’aviatrice Hélène Boucher (1908-1934), la philosophe Simone Weil (1909-1943), la comédienne Sarah Bernhardt (1844-1923). En 1967, quelques mois avant “les événements de 68”, on donne un square à la Fée Viviane, peut-être pour respecter la parité : l’Enchanteur Merlin a aussi sa rue ! Plus rien jusqu’en 1982. Avec les nouveaux quartiers construits depuis l’arrivée de la municipalité d’union de la gauche en 1977, voici quatorze noms féminins. Des écrivaines, Marie de France (XIIe) auteure de Lais inspirés des légendes celtiques, la paysanne du Trégor, auteure de langue bretonne Angéla Duval (1905-1982), la poétesse de Bazouges-la-Pérouse Angèle Vannier (1917-1980), la Rennaise Yvonne Meynier (1908-1995) romancière pour la jeunesse, productrice d’émissions de radio, co-fondatrice de l’Association des Écrivains de l’Ouest, qui n’a, elle, qu’une moitié de rue puisqu’elle la partage avec son mari le professeur André Meynier. Est-ce la commémoration de 1789 qui enhardit les esprits ? On inaugure une rue Flora Tristan (1803-1844) qu’on proclame « écrivain féministe » sans oser toutefois le néologisme « écrivaine ». L’appellation « journaliste, femme de lettres » est utilisée pour Louise Weiss (1893-1983) et Séverine (1855-1929) dont la présence s’explique par la date de l’arrêté municipal : 1999, centième anniversaire du second procès de Dreyfus à Rennes, Séverine ayant été l’une des journalistes de La Fronde, avec Marguerite Durand et Jeanne Brémontier, qui suivirent régulièrement ce procès. Mais rien ne précise ici son engagement dreyfusiste et féministe. Même chose pour Olympe de Gouges (1748-1793) qualifiée d’« héroïne de la Révolution Française », point d’allusion à sa Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne. Autres noms, Julie d’Angennes (1607-1671) présentée comme “fille aînée de la marquise de Rambouillet” et dont on se demande bien pourquoi, tant qu’à faire de choisir une femme ayant joué un rôle dans ce mouvement féministe que fut la Préciosité, on n’a pas retenu sa mère plutôt qu’elle ; la comédienne Marie Dorval (1798-1849), née à Lorient ; Nathalie Lemel (1827-1921), membre de la Commune de Paris, née à Brest ; la chanteuse Édith Piaf (1915-1963) ; une Sarthoise, la pédagogue Marie Pape-Carpantier (1815-1878) fondatrice de l’École maternelle ; la chef d’une bande de voleurs de grands chemins, appartenant à l’histoire populaire de Bretagne, Marion du Faouët (1717-1755), que les juges rennais condamnèrent à être traînée, à demi-nue dans les rues de la ville pendant trois jours avant d’être marquée au fer rouge. Des figures locales : la photographe Anne Catherine (1887-1974), Renée Prévert (1912-1988) qui fut bien plus qu’une simple « militante d’œuvres sociales », puisqu’elle fut une des premières députées en 1945, la finistérienne Jeanne Laurent (1902-1989) qui est à l’origine de la création des Centres dramatiques. Ajoutons à la liste les habituels Pierre et Marie Curie (1867-1944), Marie étant qualifiée modestement de “physicienne et chimiste” et non pas de prix Nobel.

XXIe siècle. Le début du nouveau siècle est marqué par la création d’un « quartier des femmes » à Beauregard, à proximité de la nouvelle Préfecture : initiative louable mais qui n’est pas sans évoquer ces lotissements où on passe de la rue des Mésanges à la rue des Fauvettes. A ceci près qu’il ne s’agit ni d’oiseaux ni de fleurs mais de la chanteuse Barbara (1930-1997), de Mère Teresa (1910-1997) « Religieuse, Prix Nobel de la Paix », de l’écrivaine Colette (1873-1954) ou plutôt « Gabrielle Colette », puisqu’on lui redonne ce prénom qu’elle n’utilisa jamais en tant qu’auteure. Ajoutons quelques personnalités locales : Adèle de Bretagne (XIe siècle) première abbesse des bénédictines de Saint-Georges et Ermengarde d’Anjou (1068-1147) présentée comme « Duchesse de Bretagne » ce qui risque de troubler fort le touriste qui a déjà vu célébrer une autre duchesse, Anne, dont les mérites sont plus notoires. Ces dernières années ont vu arriver la peintre Jeanne Malivel (1895-1926) née à Loudéac, co-fondatrice du mouvement artistique breton les Seiz breur, une conservatrice du Musée des Beaux-Arts Marie Berhaut (1904-1993) et Geneviève d’Haucourt (1904-2000), une des premières avocates qui doit sa célébrité au fait que, pendant la guerre, elle sauva les archives de Brest. La dernière qui hérite d’un square en 2002 est Simone Morand (1914-2001) auteure d’ouvrages sur les coutumes du pays gallo (c’est-à-dire la Bretagne non bretonnante) et de livres de cuisine régionale.

Que conclure au terme de cette énumération, sinon qu’on aura beau dire et beau faire, la place des femmes sera toujours bien faible dans la liste des rues rennaises. Cette attribution est fonction du développement de la cité : pas question de débaptiser des rues déjà existantes (même la rue Alexis Carrel ! [8]), donc les nouvelles ne sont pas des voies de prestige, elles sont situées dans des quartiers périphériques, sont souvent de petites dimensions, et comme telles, peu visibles. On chercherait en vain une volonté féministe dans trop de ces appellations, le plus souvent le critère local, c’est-à-dire le fait d’être née ou d’avoir vécu en Bretagne, l’emporte. Il faut trouver des noms, et on se donne bonne conscience en choisissant-au hasard ? – quelques femmes célèbres. On aimerait flâner dans des rues dédiées à des figures rennaises représentatives de différents aspects de l’histoire des femmes : la précieuse du XVIIe siècle Catherine Descartes, les premières enseignantes comme Mlle Dupesan, directrice du lycée de filles et vice-présidente en 1914 du groupe d’Ille-et-Vilaine pour le suffrage des femmes… Mais, oserai-je le dire ? LA féministe rennaise, Louise Bodin (1877-1929), la rédactrice de La Voix des femmes, une des rares journalistes à avoir écrit un article pour protester contre la loi de 1920 sur l’avortement et la contraception, n’a pas sa rue. On a donné son nom à une crèche…

 

 [7] Renseignements fournis au cadastre de la ville de Rennes par M. Joël David. En ce début septembre 2005, la 55e rue n’est pas encore officiellement nommée, mais elle s’appellera sans doute rue Geneviève Anthonioz-de Gaulle.

[8] L’affaire Carrel a commencé au début des années 1990 quand le Front National a voulu réhabiliter en tant que « père de l’écologie » ce prix Nobel 1912 (pour ses travaux de technique chirurgicale), partisan de l’eugénisme comme solution aux problèmes sociaux (L’Homme, cet inconnu, 1935). Des chercheurs (Alain Drouard, Lucien Bonnafé, Patrick Tort) ont alors mis au jour son passé collaborationniste pendant l’Occupation et dans de nombreuses villes, des demandes pour obtenir le changement de nom des rues Alexis Carrel ont été faites (NDR).

Colette Cosnier. Ses ouvrages ont aidé à sortir de l’ombre des femmes remarquables, souvent féministes. Citons, parmi ses nombreuses publications : La Bolchevique aux bijoux. Louise Bodin (Pierre Horay, 1988) et Marie Pape-Carpantier (rééd. Fayard, 2003) ainsi que Parcours de femmes à Rennes, avec Dominique Irvoas-Dantec (Apogée, 2001) [NDR].

Poitiers, Nancy, Paris, Marseille

Poitiers

Les femmes dans la toponymie urbaine : un premier aperçu
On compte à Poitiers 894 rues, places, impasses et allées. 353 (39,5 %) de celles-ci portent le nom d’un personnage célèbre. 21 (6 % de ce groupe ; 2,3 % du total) sont des femmes, ce qui représente 17 noms : Aliénor d’Aquitaine, Camille Claudel, Diane de Poitiers, Marie Curie (conjointement avec son mari), Olympe de Gouges, Jeanne d’Arc (3 fois), Louise Labé, Théroigne de Méricourt, Louise Michel, Edith Piaf, les dames des Roches, et les saintes Bernadette, Catherine (2 fois), Loubette, Opportune, Thérèse, Radegonde (2 fois). Soit 1 boulevard, 15 rues, 4 allées, 1 place. NB : y ajouter des toponymes liés à des couvents féminins : Sainte-Croix (2), Grand Maison, Fontevraud, Carmélites. (Les hommes ont des rues du Cadre noir, des Campeurs, des Canadiens, des Chevaliers, des Ecossais, des Entrepreneurs, des Imprimeurs, des Meuniers, des Transporteurs, des Carmes, de la Clergeonnerie, des Cordeliers, des Feuillants, des Jésuites, des Templiers). L’enquête est à poursuivre, ici et ailleurs (Niort, La Rochelle, Rochefort, etc.).

Message de Nicole Pellegrin (historienne, CNRS Paris – IHMC)

Ce premier inventaire à la Prévert qui mêle souvenirs du Poitiers d’Ancien Régime et dénominations contemporaines reste à approfondir, avec l’aide d’ouvrages d’histoire locale. Le relevé des noms à consonance féminine nous apprend aussi à déjouer les pièges de la toponymie : ainsi, le « chemin des bonnes », n’a rien à voir avec les employées de maison, mais marque plus sûrement les anciennes limites (bornes) du territoire. Mais que penser de la rue des Brunettes et de sa voisine, la rue des Blondines ? Enquête à poursuivre en effet…

Valérie Neveu

 Nancy

Une Université Louise Michel ? C’est raté. Nancy-II garde son numéro, explique Libération du 9 juin 2005. Elle ne sera pas la première université en France à porter le nom d’une femme. C’est Louise Michel qui avait été proposée par le personnel et les étudiants, mais une partie du conseil d’administration militait pour Emile Gallé, artiste local. Faute d’une majorité des deux-tiers, l’université gardera son numéro 2.

Christine Bard

Paris

Michelle Perrot nous signale Paris aux noms des femmes qui vient de paraître aux éditions Descartes § Cie. A l’initiative de Marc Guillaume, ce livre esthétique, original, poétique parfois donne la parole à 40 femmes d’aujourd’hui, qui confient ce que leur inspirent les rues aux noms de femmes d’hier. A Paris, 92 voies (2 % du total). Michelle Perrot en a choisi une une demi-douzaine, parmi lesquelles Clémence Royer, Elisa Lemonnier, sans oublier la rue Madame, qui s’appelait rue des citoyennes sous la Révolution. A propos des statues de femmes dans Paris, elle nous renvoie à une thèse de l’Ecole d’architecture, qu’elle a déposée à la BMD.

Paris-Parité ou l’étymologie revisitée par le féminisme On la croyait fille du XXe siècle, voire des rêves d’Hubertine Auclert. Que nenni ! Avant de ressurgir parmi nous, l’idée a occupé un certain nombre de femmes dans les cercles dirigeants du tournant des XVe et XVIe siècle, comme en témoignent les nombreuses oeuvres et jeux de société qu’elles ont promus et qui mettent face à face des groupes de sexes numériquement équilibrés. Mais voilà mieux : le mot aussi est là ! On le trouve dans un abrégé d’histoire de France datant de la fin des années 1480, écrit pour la fille de Louis XI, Anne de France, régente à partir de 1483 et demandeuse d’arguments susceptibles de contrer « la faible opinion de ceux qui disent que femme ne doit avoir autorité sur le gouvernement du roi et du royaume. » Le rédacteur de cet abrégé n’hésite pas : si l’ancienne Lutèce est devenue Paris, c’est qu’elle a été rebaptisée en même temps que Clovis l’était (baptisé). Et si ce nom a été choisi, c’est qu’à cette occasion, Clovis (païen) a été fait « égal en foi et dignité à Clothilde » (chrétienne). Devenus égaux, donc pareils, la capitale du royaume (donc le royaume, donc le gouvernement) leur fut donné à tous les deux (un gars, une fille), et en vertu de leur « parité  » elle fut appelée Paris ! Et depuis, tous les hommes de cette ville étant devenus les égaux/pareils de toutes les femmes, on les a appelés les Parisiens ! Le tout par « décision divine », évidemment. L’histoire ne dit pas ce qu’Anne de France en pensa.

Eliane Viennot, professeure de littérature de la Renaissance, Université de Saint-Étienne / IUF ; présidente de la SIEFAR (www.siefar.org).

 Marseille

Sur le vieux Port, l’association « Les femmes et la ville » a célébré le soixantième anniversaire du vote des femmes par un colloque sur l’histoire locale des citoyennes marseillaises (13-14 mai 2005). Y sont intervenu(e)s Geneviève Dermenjian, Hélène Echinard, Catherine Marand-Fouquet, Daniel Armogathe, Régine Goutalier, Eliane Richard, Yvonne Knibiehler, Jacqueline Charle, Caroline Mackenzie, Jean Pellegrino, Roseline Arnaud-Kantor, Claudine Marissan (sur l’expérience belge)… Une très belle exposition en plein air donnait à découvrir les grandes figures du féminisme, les grandes dates de l’émancipation des femmes… Les actes du colloque ont été publiés : ‘Les Marseillaises en politique’, Marseille. La revue culturelle de la ville de Marseille, n° 209, juillet 2005.