Thèse : Kerignard (S.), Les femmes, les mal entendues du discours libertaire ?

[Résumé de thèse, 2004]. La recherche que j’ai menée analyse le discours libertaire sur les femmes à la fin du XIXe siècle. Trois parties scandent cette étude : tout d’abord, je m’intéresse au rôle traditionnel des femmes dans le discours libertaire ; ensuite, j’étudie le rôle imparti aux femmes en tant que gardiennes et militantes du foyer anarchiste ; enfin, j’appréhende les rapports entre anarchisme et féminisme.

L’étude du discours des principaux théoriciens de l’anarchisme permet de rappeler le modèle de ménagère ou courtisane de Pierre-Joseph Proudhon, de se pencher sur la vision émancipatrice de Michel Bakounine et d’analyser la conception asexuée de Max Stirner. Deux événements historiques nourrissent aussi les fondements du discours libertaire : le nihilisme russe montre que certaines femmes désirent la destruction de l’ordre social ; la Commune de Paris exprime une volonté d’émancipation collective. Cependant, les anarchistes sont influencés par les valeurs sociales dominantes. Ils s’inscrivent dans une conception traditionnelle du rôle des femmes, en se basant sur le “ scientisme ”, la religion et le travail. Ils estiment ainsi qu’il convient de protéger les femmes et, de ce fait, de les assigner au foyer.

Au sein de la cellule familiale, les libertaires attribuent une place et des rôles aux femmes. Ils s’appuient sur une théorie du matriarcat selon laquelle les femmes seraient les piliers de la société et du foyer. Ils donnent ainsi plusieurs rôles domestiques aux femmes, de la nourricière à l’éducatrice. A partir de ces rôles traditionnels, ils développent une propagande à leur égard, en tant que mères et épouses. Du foyer, les femmes peuvent en outre amorcer un militantisme dans la sphère publique. La conception de l’amour libre constitue une base possible de ce militantisme mais n’est pas exempte de contradictions, comme l’illustrent les milieux libres. L’étude de couples emblématiques ou anonymes permet aussi de confronter le discours aux expériences libertaires.

Si des femmes amorcent un militantisme libertaire au sein de la sphère publique, il convient alors de s’interroger sur les relations entre féminisme et anarchisme. La question du droit de vote constitue le point d’achoppement entre les anarchistes et les femmes à la fin du XIXe, et surtout au début du XXe siècle. Deux grandes tendances d’un féminisme anarchiste semblent se distinguer : le “ féminisme libertaire ” naît d’un discours utopique mais qui appréhende difficilement la dimension patriarcale ; “ l’anarcha-féminisme ”, terme anachronique, exprime la tentative d’un discours et d’une pratique autonomes de certaines militantes. Les parcours de Louise Michel et de Gabrielle Petit illustrent ces deux idéaux-types de féminisme anarchiste. Ils posent la question : un engagement féministe et anarchiste s’exprimerait-il plus facilement en marge du milieu libertaire ?

Mon travail consiste à définir la nature de son rapport avec le communisme français. Son pacifisme est teinté par sa passion pour la Russie en tant que ‘patrie de la paix’ et de la libération de la femme, beaucoup plus que par une compréhension profonde de l’idéologie communiste. Il se caractérise à la fois par la volonté de Gabrielle Duchêne de dissocier organisationnellement ses activités culturelles prorusses et son militantisme pacifiste au sein de la LIFPL et par l’imprégnation dans son action pacifiste d’une rhétorique propagandiste communisante. Elle multiplie les initiatives pour convaincre les pacifistes féministes de la nécessité de défendre l’U.R.S.S., ce qui créé des tensions inévitables dans la section française et dans le Comité exécutif international de la LIFPL.

 
Sophie Kerignard, « Les femmes, les mal entendues du discours libertaire ? De la fin du XIXe siècle à la Grande guerre ».
Extrait du Bulletin Archives du féminisme, n° 7, juillet 2004
Résumé de la thèse d’histoire contemporaine soutenue le 31 mars 2004, Université de Paris 8, sous la direction de Michèle Riot-Sarcey.