Madeleine Colin (2001)

Par Slava Liszek. 

L’année 2001 a vu disparaître, à l’âge de 95 ans, une des grandes figures féministes du mouvement syndical : Madeleine Colin. Secrétaire confédérale de la CGT de 1955 à 1969, directrice du mensuel Antoinette, de sa création jusqu’en 1975, Madeleine Colin a joué un rôle de premier plan dans la lutte pour l’égalité des femmes, tant dans la vie professionnelle qu’au sein de l’organisation syndicale. Et elle a mené ce combat à une époque où la place des femmes dans le monde du travail n’allait vraiment pas de soi…

Je me souviens encore de ma surprise quand, journaliste en quête de piges, j’avais eu en mains pour la première fois le mensuel féminin de la CGT. Enfin un journal qui s’adressait à des femmes adultes, responsables, à des « femmes sujets ». Pas de condescendance, pas de mièvrerie. Les quelques pages de mode, de cuisine ou de conseils pratiques, ne masquaient pas l’essentiel : problèmes professionnels, luttes pour l’égalité, pour la considération. Faire prendre les femmes au sérieux, elles et leurs revendications « spécifiques » avait été un des axes essentiels du combat de Madeleine Colin.

Certes, à la CGT elle n’était ni la première ni la seule à se battre pour les droits des femmes. Des militantes de grande envergure l’avaient précédée : Marie Guillot à la veille et au lendemain de la Première Guerre mondiale. Marie Couette à la Libération, Olga Tournade dans la période qui suivit. Leur action obstinée, envers et contre d’innombrables obstacles avait permis d’intégrer les revendications féminines dans l’orientation confédérale et de promouvoir aux postes responsables un nombre appréciable de militantes… Madeleine Colin sut utiliser et faire fructifier tout ce que ses devancières avaient semé.

Elle était pourtant venue au militantisme assez tard. Née en 1905, à Paris, dans un milieu petit bourgeois, elle s’était d’abord contentée de vivre. A 19 ans, elle entre aux PTT comme téléphoniste. A 23, elle se marie. Deux ans plus tard elle a une petite fille. Mais elle ne s’arrête pas de travailler. Elle a du caractère et le goût de l’indépendance.

C’est par la Résistance qu’elle est conduite à s’engager politiquement (PCF) et syndicalement. A la fin des années 1940, dans l’euphorie de la Libération (alors que sa fille est déjà élevée), elle se donne à fond à l’action militante. Elle commence à gravir les échelons dans l’organisation syndicale lorsque éclatent les grèves de l’été 1953, remarquables par l’irruption des femmes sur le terrain des luttes : téléphonistes, employées des Chèques postaux… Les analyses de Madeleine Colin sont appréciées par les dirigeants de la CGT… Au congrès suivant, elle est élue au Bureau confédéral.

Responsable de l’activité « en direction des femmes », directrice d’Antoinette, le nouveau mensuel confédéral à leur intention, Madeleine Colin s’investit totalement dans sa tâche. S’occuper des femmes ne lui sembla jamais secondaire ou dévalorisant. Au contraire, c’était une mission essentielle, prioritaire, et elle la revendiquait comme telle.

Les obstacles et les difficultés n’avaient pas disparu pour autant. Manque de disponibilité des camarades femmes, sexisme plus ou moins déclaré des camarades hommes. Madeleine Colin se heurta plus d’une fois à l’inertie, à la condescendance, au paternalisme. Mais elle a su, semble-t-il, ne pas se laisser démonter. Son autorité naturelle, sa culture, ses connaissances – et son élégance ? – devaient en imposer à plus d’un.

A partir de 1955, le secteur féminin de la CGT se développa considérablement, les questions féminines furent abordées plus régulièrement, à tous les niveaux ; plusieurs conférences, avec des milliers de participants et des personnalités d’horizons divers furent organisées ; Antoinette atteignit des tirages respectables. Les qualités journalistiques de sa directrice (souci de clarté, de proximité avec le lecteur, etc.) n’y étaient probablement pas étrangères. Au milieu des années 1960, les acquis des femmes cégétistes étaient cités en exemple par les militantes de la CFTC/CFDT… Remplacée au Bureau confédéral (à 64 ans) par Christiane Gilles, Madeleine Colin continua à diriger Antoinette (c’était une directrice très présente !), à animer des stages, à organiser des rencontres. Dans le même temps, elle poursuivait des recherches sur la place et le rôle des femmes dans l’histoire sociale et notamment dans celle de la CGT. Le résultat fut la publication d’un petit livre pionnier en la matière : Ce n’est pas d’aujourd’hui. Femmes, syndicats, luttes de classe, Editions sociales, 1975.

Elle prit sa retraite (une retraite très active) en 1975. Quelques années plus tard, le conflit du journal Antoinette, et surtout, ensuite, sa suppression, l’affectèrent beaucoup. Mais n’entamèrent pas pour autant son appétit de vivre et son énergie. A 84 ans elle publiait ses mémoires : Traces d’une vie dans la mouvance du siècle. A lire absolument !

 

Slava Liszek. « In memoriam : Madeleine Colin (2001). Un demi siècle de combat pour les femmes dans une organisation mixte (la CGT) ».
Extrait du Bulletin Archives du féminisme, n° 3, janvier 2002.