Nous avons lu : Hubertine Auclert, pionnière du féminisme (2007)

Le féminisme d’Hubertine Auclert (1848-1914) est au coeur de ce petit livre (issu d’un programme coordonné par Céline Schmitt, déléguée départementale aux droits des femmes et à l’égalité de l’Allier), livre précieux à double titre. D’abord parce qu’il donne à lire l’historien américain Steven C. Hause – dont l’ouvrage Hubertine Auclert, the French Suffragette (Princeton, 1984) n’a jamais été traduit en français – et dessine les contours du parcours biographique et militant de cette figure emblématique du féminisme de la deuxième moitié du XIXe siècle. Ensuite, et surtout, parce qu’il offre un panorama des engagements féministes d’Hubertine Auclert à travers 26 textes regroupés autour de six thématiques, de l’affirmation de l’égalité à la défense des mères, du droit de vote à celui de gouverner, en passant par la défense des femmes arabes en Algérie. Cette publication de sources est en effet précieuse parce qu’elle met à la disposition du plus grand nombre un éventail de discours et d’articles d’Hubertine Auclert : pétitions, tribunes, discours prononcés lors de congrès ouvriers, textes extraits du Vote des femmes, des Femmes au gouvernail, des Femmes arabes en Algérie.

La vie d’Hubertine Auclert semble faire corps avec le militantisme féministe. Née en 1848 dans une famille de propriétaires terriens, elle prend rapidement conscience des injustices vécues par les femmes, et notamment par les veuves. Refusant de se marier, rejetée par l’Église pour sa vision « trop » égalitaire du monde, elle prend son indépendance vis-à-vis de sa famille grâce aux rentes qu’elle tire de sa part d’héritage. Montée à Paris en 1873, elle découvre le militantisme auprès de Maria Deraismes et de Léon Richer, avant de prendre son envol quelques mois plus tard dans la mouvance féministe parisienne.

Considérant le suffrage comme la clé de voûte des autres droits des femmes et de l’avènement d’une société égalitaire, elle s’acharne à revendiquer l’accès aux urnes pour toutes les femmes, de la même manière que 1848 a vu l’avènement du suffrage universel masculin. Ainsi, martelant de manière viscérale son attachement à la liberté et au combat pour l’égalité entre les sexes, elle ne cessera de dénoncer les privilèges des hommes, qu’ils soient honnêtes ou « brigands » : « Nous sommes neuf millions de femmes majeures qui formons une nation d’esclaves dans la nation d’hommes libres » écrit-elle. Elle s’illustre alors par ses actions d’éclat au sein du mouvement français pour le suffrage des femmes ou de la société Le Droit des femmes qu’elle crée en 1876.

Singulière, elle revendique l’égalité pleine et entière quand d’autres privilégient des stratégies plus modérées. Militante passionnée de l’égalité entre les sexes, elle martèle inlassablement le principe du « je ne vote pas, donc je ne paie pas » pour illustrer le paradoxe des inégalités, multipliant les recours juridiques et administratifs. Singulière, elle l’est aussi par un militantisme particulièrement démonstratif quand elle demande, avec d’autres, à être inscrite sur les listes électorales ou lorsqu’elle pénètre en 1908 dans un bureau de vote parisien, défiants les hommes présents et renversant l’urne électorale : « Ce n’est point l’éducation, c’est le pantalon qui fait l’électeur » condamne-t-elle dans ses écrits. En effet, Hubertine Auclert n’a de cesse de dénoncer les injustices dont les femmes sont l’objet parce qu’elles sont, aux yeux de la loi, des sous-citoyennes. Elle met ainsi à profit les colonnes de La Citoyenne et nomme, une à une, les inégalités pour les condamner, qu’il s’agisse du travail domestique invisible, des discriminations en matière d’emploi et de salaire ou la condition des femmes arabes et la politique raciste de la France en Algérie, où elle séjourne entre 1888 et 1892.

Des textes précieux donc qui rappellent que les huissiers n’ont visiblement jamais eu raison de sa révolte…

Hubertine Auclert, pionnière du féminisme : textes choisis / préface Geneviève Fraisse ; présentation Steven C. Hause ; coordination Céline Schmitt. –   Saint-Pourçain-sur-Sioule : Bleu autour, 2007. – ISBN : 978-2-9120-1962-2.

Compte-rendu de Fanny Bugnon
Extrait du Bulletin d’Archives du féminisme, n° 13, décembre 2007