Carmona (L.), Construire l’égalité : la Société des AgrégéEs (1920-1948)

Tel est le titre de mon mémoire de maîtrise, dirigé par Françoise Thébaud à l’Université d’Avignon. Il retrace, de 1920 à 1948, l’histoire de la Société des agrégées de l’enseignement secondaire public dont le bulletin, Les Agrégées – qui paraît de 1920 à 1948, avec une interruption durant les années de guerre – a constitué ma source principale. En complément de l’étude du bulletin, des témoignages écrits – « souvenirs » ou « mémoires » – et des réflexions d’enseignantes sur l’éducation et l’enseignement des jeunes filles sont venus enrichir et diversifier ma source principale.

Compte tenu de l’étendue de la période étudiée, l’approche chronologique m’a paru appropriée pour mettre en évidence les différentes étapes de la vie de la Société, de sa naissance à sa fusion avec la société masculine en 1948. Fondée en 1920 à l’initiative de quelques agrégées parisiennes et provinciales, la Société des agrégées souhaite donner plus de force aux revendications de l’enseignement secondaire féminin et mettre fin à l’inégalité des statuts professionnels entre les agrégés des deux sexes. De 1920 à 1932, la Société se construit, définit ses cadres et l’orientation de son action corporative. Elle s’impose auprès de la hiérarchie administrative comme un interlocuteur privilégié : grâce à elle, les femmes professeurs ne sont plus absentes des discussions sur les réformes qui les concernent. Les agrégées se trouvent par ailleurs confrontées à des manifestations d’antiféminisme de la part de leurs collègues masculins et d’une opinion publique qui n’est pas toujours favorable à leurs revendications.

En 1932, l’action des agrégées a cependant permis d’obtenir l’identification des enseignements, la mise en route du processus d’unification des agrégations, l’égalité des traitements et des heures de service des deux personnels et une représentation officielle au Conseil supérieur de l’Instruction publique. De 1932 à 1940, le contexte économique et social n’est pas propice à une émancipation féminine. Les menaces qui pèsent sur le travail des femmes engendrent une collaboration plus étroite entre la Société et les groupements féministes, engagement féministe pour lequel les agrégées s’étaient jusque là montrées réticentes. La guerre vient ajourner les réformes et mettre en sommeil pour quelques années la vie de la Société.

Reconstituée en 1946, elle poursuit alors son implication dans l’étude des questions féminines ; y compris lors de la fusion avec la société masculine. Dans la dernière partie de mon étude, j’ai tenté de dépasser la tonalité formelle d’un bulletin corporatif et de saisir le vécu de ces femmes professeurs. Au-delà des caractéristiques communes qui ont pu être dégagées, c’est vers la singularité de chaque destin que mes conclusions se sont tournées.

En définitive, l’histoire de la Société des agrégées est tout à la fois une histoire de l’enseignement secondaire féminin et celle d’une profession féminine. La Société a réussi à rassembler environ 85 % des agrégées en service, ce qui est assez exceptionnel pour une association corporative, mais il me semble qu’il faut garder à l’esprit que la ligne de conduite d’une société professionnelle est avant tout donnée par ses dirigeantes. Dans ce cadre, il est évident que d’autres aspects de l’enseignement secondaire féminin et de l’exercice de la profession d’enseignante restent encore à éclaircir. Si j’ai pu lire, à plusieurs reprises, sous la plume de certaines dirigeantes, que les jeunes agrégées ignoraient ce qu’elles devaient à leurs aînées et se devaient d’entretenir leur mémoire, cette étude m’aura permis de leur rendre hommage et de témoigner de leurs patientes luttes pour l’égalité.

 
 Anne-Laure Carmona, « Construire l’égalité : la Société des AgrégéEs (1920-1948) »
 Extrait du Bulletin Archives du féminisme, n° 6, décembre 2003