Nous avons lu : Rita Thalmann, Tout commença à Nuremberg

Connue pour ses ouvrages sur l’histoire de l’Allemagne, sur la Seconde Guerre mondiale et en particulier, les femmes, Rita Thalmann nous donne ici une autobiographie, qui se situe, comme l’indique son sous-titre, « entre histoire et mémoire ».

Comment raconter sa vie et l’intégrer dans l’évolution historique ? Comment comprendre ce qui vous est arrivé en prenant de la distance et en replaçant chaque événement, souvent incompréhensible, dans le contexte historique ? La tâche est difficile, mais Rita Thalmann y parvient dans ce livre attachant et distancié, toujours précis et toujours sensible. Sur son passé, elle ne larmoie pas, elle le replace dans son histoire familiale et dans le cours de l’Histoire. Née dans une famille juive de stricte observance, à Nuremberg, quelques années avant l’arrivée au pouvoir du régime nazi, elle nous raconte son enfance, son adolescence et sa vie de jeune adulte jusqu’à l’obtention de ses diplômes qui ont été longtemps son but. Comment espérer faire des études, quand la guerre a tout détruit – sa mère devenue folle et finissant ses jours dans un hôpital psychiatrique, son père déporté et mort à Auschwitz ? Sa grand-mère maternelle, dure et comme incapable de ressentir un élan du coeur, ne lui a pas mâché ses mots, alors qu’elle ne comprenait pas pourquoi on l’avait inscrite à un cours d’enseignement féminin, alors qu’elle voulait passer son bac, « Une orpheline ne fait pas d’études ». Quand la guerre est finie, elle va pourtant en faire. Elle réussit, tout en gagnant sa vie en enseignant à l’école Yabné, à passer le bac puis la licence, le Capes, l’agrégation et enfin, un doctorat d’Etat. Jeune fille éducatrice à l’OSE [Organisation de Secours aux Enfants], elle déborde d’amour pour ces enfants qui ont tout perdu. Elle pratique un judaïsme exigeant mais qui ne la coupe pas des autres. Elle s’inscrit au parti communiste mais elle le quitte lors des grands procès de Prague. L’endoctrinement, ce n’est pas pour elle. Cela ne l’empêche pas de militer toute sa vie pour les causes qui lui paraissent justes : la libéralisation de la contraception et de l’avortement, la lutte pour l’indépendance des peuples colonisés et pour commencer, ceux de la France, les Algériens. Mais ce qui frappe le plus, en lisant ces souvenirs, qui sont émouvants et qu’on ne peut lâcher avant d’avoir fini le livre, à travers le destin d’une jeune fille qui ne demande qu’à vivre et être heureuse, c’est la découverte de la façon dont les Juifs ont été exclus, non seulement de l’Allemagne, mais de la Suisse et de la France, avant même la Solution Finale. Rita Thalmann, ses parents, son frère ne trouvent pas en France l’accueil qu’ils étaient en droit d’avoir. Les départements limitrophes de l’Allemagne nazie leur sont bientôt interdits par la République française et leur vie n’est plus que tracasseries et fuite devant des règlements qu’ils ne comprennent pas. En Suisse, ce n’est pas mieux et, bien que d’origine bâloise du côté de sa mère, elle se voit refuser l’autorisation de séjour si précieuse et doit sans cesse refaire des papiers. Que les pays d’Europe aient refusé de recevoir les Juifs en fuite, nous le savons. Les souvenirs de Rita Thalmann nous entraînent dans une course haletante où nous ne savons jamais ce qui va arriver, où la vie ne tient qu’à un fil. Pourtant, c’est la vie qui l’emporte. Une amie qui la fait passer en zone sud sous l’identité d’une autre. Un meunier qui les fait, son frère et elle, passer au fond de son jardin en Suisse, et les sauve. Une image forte, peut-être, pour résumer la vie de cette historienne pudique mais qui n’a rien raconté qu’elle n’ait vérifié dans les archives, c’est la journée qu’elle passe avec son père, à Paris, en pleine Occupation. C’est la période des rafles ; alors que son père et elle sont à Paris pour affaire et que leurs papiers sont contrôlés (n’oublions pas qu’ils sont étrangers et Juifs) elle lui demande de l’emmener à l’Opéra. Une soirée inoubliable avec ce père tant aimé résume le bonheur de ce livre : un amour de la vie et un sens de la lutte qui transcendent toutes les peines et les injustices dont elle n’a pas été privée.

Compte rendu rédigé par Colette Avrane : Rita Thalmann, Tout commença à Nuremberg, Berg International, 2004, 249 pages.
Extrait du bulletin Archives du féminisme, n°9 – décembre 2005