L’inexistence d’un musée d’art et/ou d’histoire des femmes en France est un signe parmi d’autres des difficultés rencontrées pour institutionnaliser les acquis des recherches impulsées par les féministes depuis une trentaine d’années. Aux Etats-Unis, plusieurs musées sont consacrés aux femmes. Le plus important est le National Museum of Women in the Arts de Washington, situé près de la Maison Blanche. Il a été fondé par Wilhelmina Cole Holladay en 1987 à partir de la collection d’art qu’elle constitua avec son époux. Il est le seul musée au monde dédié exclusivement aux œuvres des femmes artistes (les plus anciennes datant du XVIe siècle). Sa première exposition, « American Women Artists, 1830-1930 » a fait date. Depuis 13 ans, 150 expositions ont été réalisées et le musée possède plus de 2 700 oeuvres de plus de 800 artistes (Camille Claudel, Margaret Bourke-White, Carrie May Weems, Judith Eyster, Sofonisba Anguissola, Dame Elisabeth Frink, Frida Kahlo, Käthe Kollwitz, Louise Dahl-Wolfe, Lotte Laserstein, Elisabeth Vigée Le Brun, Dorothy Dehner, Joan Snyder, etc.) Son centre de recherche communique des dossiers sur 16 000 femmes artistes. Depuis 1984, plus de 200 000 personnes sont devenues membres pour soutenir le musée et ses missions, et environ 1,2 M de personnes ont visité les lieux (http://www.nmwa.org). Des musées plus spécialisés existent tel le International Women’s Air & Space Museum, Inc. créé en 1986 à Dayton (Ohio) où l’on découvre les pionnières en Montgolfières, les aviatrices et les femmes astronautes (http://www.iwasm.org).
Des musées d’envergure importante sont en projet aux Etats-Unis.
Le National Women’s History Museum dirigé par Karen K. Staser est pour l’instant un cybermusée, dans l’attente d’une installation à Washington, DC. Il présente les contributions des femmes à la vie sociale, culturelle économique et politique de la nation. Sa première initiative a été l’érection d’une statue du suffrage des femmes (Woman Suffrage Statue), monument dédié à Susan B. Anthony, Elizabeth Cady Stanton et Lucretia Mott, dans la rotonde du Capitole Ce musée a réalisé une exposition sur « La culture politique et l’imagerie de la campagne suffragiste américaine » pour le cent cinquantième anniversaire de la première convention américaine des droits de la femme tenue à Senecca Falls en 1848 (http://www.nwhm.org).
A San Francisco est programmée pour 2006 l’ouverture d’un International museum of women qui sera le seul musée exclusivement dédié à la chronique et à l’hommage aux vies des femmes dans le monde. Il s’agit d’un projet extrêmement ambitieux tant sur le plan thématique (une ambition mondiale sur des thèmes très larges : « Living », « Working », « Creating » et « Envision the Future ») que sur le plan financier (la construction à elle seule est évaluée à 45 millions de $. Il a su réunir de puissants appuis, essentiellement privés (www.imow.org).
Enfin, les cybermusées paraissent en pleine expansion. Voir par exemple le Women of the West Museum. Her place in history qui existe depuis 1991 (depuis avril 2002 réuni à l’Autry Museum of Western Heritage : http://theautry.org/research/women-of-the-west).
Nous ne ferons pas ici un tour du monde de ces musées mais finirons avec deux exemples opposés, l’un semblant révélateur d’une démarche associative féministe occidentale, l’autre, au Vietnam, montrant au contraire la mise en oeuvre étatique.
En Allemagne, le Frauen Museum. Szenarien aus Kunst und Geschichte de Bonn, dirigé par Marianne Pitzen, musée associatif subventionné par la ville, et disposant d’une surface de 3 000 m2 existe depuis 1981. Il est à dominante artistique même s’il ne néglige pas l’histoire et la mythologie et se veut aussi producteur d’art contemporain (www.frauenmuseum.de).
A Hanoï, le musée des femmes (le Bao tang phu nuvn), diposant de 4 500 m2 au centre-ville, dont 1 200 m2 de surface d’exposition, se présente comme « non seulement un lieu où sont conservés des documents, des objets qui montrent le rôle des femmes dans l’évolution de l’histoire du Vietnam, mais encore le lieu de rencontre et d’échange entre les femmes vietnamiennes et étrangères pour l’égalité, le développement et la paix ». L’histoire des femmes y est présentée selon quatre axes : « La mère vietnamienne dans la conscience nationale », « La femme vietnamienne et l’œuvre de la construction et de la défense du pays », « L’association des femmes vietnamiennes et l’œuvre de la lutte de la libération des femmes », « Les costumes des femmes des ethnies vietnamiennes ».
Quelles leçons tirer de ces quelques exemples étrangers ? Les sponsors à l’américaine sont quasi inexistants en France ; le musée privé associatif même subventionné nous paraît aussi inadapté et dangereusement fragile dès que des collections sont en jeu. En revanche, l’initiative et le contrôle étatique ont l’inconvénient d’orienter le contenu vers l’autocélébration nationale. Un patriotisme qui, par ailleurs, semble aussi présent dans plusieurs cas des musées américains cités. Autre biais idéologique à éviter : l’apologie de la « différence » : il nous semble préférable de mettre en évidence des différenciations, des expériences et la pluralité des regards sur les genres et sur la vie ou l’art.
NDLR. Cet article a été écrit alors que l’association présentait un projet de musée d’histoire des femmes de conception classique. Par la suite, le projet s’est réorienté vers un cybermusée, dénommé Musea. Voir la rubrique Expositions.
Christine Bard, « Les musées des femmes à l’étranger ».
Extrait du Bulletin Archives du féminisme, n° 3, janvier 2002.