Annie Sugier : donner pour l’histoire

Figure 1 : La genèse de SOS femme, mars 1976, fonds Annie Sugier (48 AF).

Annie Sugier a milité dans les années 1970 au sein du MLF. En 1976, elle crée l’association SOS Femme Alternative pour venir en aide aux femmes victimes de violences et deux ans plus tard, avec le soutien de Simone Veil, elle ouvre le premier refuge pour femmes battues à Clichy : le centre Flora Tristan. À l’échelle internationale, elle lutte contre les discriminations dont sont victimes les sportives, notamment dans le cadre des Jeux Olympiques à travers l’association Comité Atlanta + qu’elle a co-fondée.

Le fonds conservé au CAF, constitué presque exclusivement de dossiers documentaires thématiques, témoigne des combats concernant les femmes battues et lesport féminin mais pas de l’ensemble des engagements d’Annie Sugier : pas de documents sur le Parti socialiste, rien sur la « bataille des mères d’Alger » ou sur les actions de la Coordination française pour le lobby européen des femmes (Clef) qui devraient faire l’objet d’un prochain dépôt.

Figure 2 : Mobilisation pour la présence des femmes aux Jeux Olympiques d’Athènes, 2004. Photographie couleur, 18 X 24 cm, Centre des archives du féminisme, fonds Annie Sugier, 48 AF

Sur cette photographie, Annie Sugier, au centre, tient la banderole avec d’autres membres du Comité Atlanta + notamment Linda Weil-Curiel, membre fondatrice de l’association.

Figure 3 : Archives entreposées dans le sous-sol d’Annie Sugier, Sceaux, ©Annie Sugier

En 2018, les archives d’Annie Sugier sont entreposées à son domicile, une partie dans son grenier et l’autre dans son sous-sol. Elle les ordonne par thème et, dans chaque thème, par ordre chronologique des actions. Une fois qu’une action se clôt, elle rejoint avec toutes ses pièces, les autres dossiers. Ce rangement et ce classement rendent compte d’un sens particulièrement prononcé de l’organisation chez Annie Sugier. Elle l’affirme en qualifiant sa pensée « d’organisée et de bien structurée ». Cependant, elle définit sa relation avec ses archives de « plutôt mauvaise », sa « tendance naturelle à tout jeter » ne l’a pas immédiatement éveillée à la nécessité de garder des traces de ses engagements. Ce désinterêt vis-à-vis de la conservation de certains documents vient de la nature même de ces derniers. Lorsqu’il s’agit d’archives associatives, militantes il est fréquent de voir naître un sentiment d’illégitimité voir d’impudeur et de retenue qui peuvent freiner la conservation et en outre mesure le don[1].

En effet, elle ne pense ses archives comme légitimes qu’à partir du moment où elle a réellement porté des actions dans le cadre d’associations. En ce cas naît une responsabilité particulière.

La personnalité d’Annie Sugier, ici comme ailleurs, transparaît à travers l’organisation matérielle, la mise en forme mais également et surtout la composition du fonds.

Figure 4 : Archives entreposées dans le sous-sol d’Annie Sugier, Sceaux, ©Annie Sugier
Figure 5 : Archives dans le grenier d’Annie Sugier, Sceaux, ©Annie Sugier
Figure 6 : Archives entreposées dans le sous-sol d’Annie Sugier, Sceaux, ©Annie Sugier

Annie Sugier et l’écriture

Dans le fonds d’Annie Sugier se trouvent également des tapuscrits et des manuscrits. Ces documents sont en partie inédits. Par exemple,  le tapuscrit « Amour et violence », co-écrit avec Anne Zelensky, militante féministe,  n’a jamais été publié. En 1975, elle participe à la rédaction de deux ouvrages collectifs : Maternité esclave[2]  et Les femmes s’entêtent[3], puis deux ans plus tard en 1977 elle écrit avec Anne Zelensky  Histoires du MLF[4]. Dans cet ouvrage, les deux autrices utilisent des pseudonymes, Annie Sugier est  « Annie de Pisan » et Anne Zelensky devient « Anne Tristan ». Ces noms d’emprunt font référence à deux figures emblématiques du féminisme français : les femmes de lettres Christine de Pisan (1364-1431) et Flora Tristan (1803-1840). Dans cet ouvrage, elles racontent notamment la fondation du Centre Flora Tristan et retracent les grands combats menés par le MLF et leur impact sur la société.

Figure 7 : Histoires du MLF de Annie de Pisan et Anne Tristan, 1977, Calmann-Levy

Les archives sont  des éléments constitutifs de l’identité de leur productrice, ici elles mettent en valeur les liens entre la forme (l’écriture) et le contenu de l’engagement féministe d’Annie Sugier.

« Rendre visible ce qui est toujours invisible : l’histoire des femmes »

Une multitude de raisons s’imposant parfois à sa propriétaire sans qu’elle y ait songé peuvent amener à confier ses archives à une institution. Anne Zelensky, amie d’Annie Sugier a fait don de ses archives à la Bibliothèque Marguerite Durand en 1995. En 2015, elle suggère à Annie Sugier de faire la même chose et avance alors deux arguments : donner ses archives permet à des chercheur.es d’avoir accès aux documents mais aussi de « mettre de l’ordre dans notre passé ». Ces arguments avancent une logique d’usage à la fois historienne et identitaire des archives. La prise de conscience de l’importance de donner ses archives pour qu’elles deviennent matériaux de documentation historique de la recherche est venue tardivement dans le parcours de militante d’Annie Sugier. En effet, ce n’est que depuis peu qu’elle commence à s’intéresser à l’histoire des femmes, des féminismes, et qu’elle s’est rendu compte que : « le féminisme ne doit jamais oublier le passé, nous on l’avait un peu oublié […] les gens qui ont été opprimés et invisiblisés éprouvent le besoin de connaître leur histoire, de s’assurer qu’il y en a qui se sont révoltés et qu’il y en a qui ont fait des choses dans le passé »[5].

De surcroît, le cadre universitaire dans lequel se trouve le Centre d’archive du féminisme à Angers, a été une raison déterminante dans la volonté de confier ses archives. L’exploitation et l’accès aux archives par les chercheuses et les jeunes diplômé.e.s sont des éléments moteurs dans la démarche de don.

Participer à la construction de l’histoire et de la mémoire des féminismes apparaît comme essentiel dans cette démarche mais c’est également s’inscrire dans une lignée, se définir comme appartenant à un groupe, celui des féministes. Cette perspective de l’histoire collective, transmettre un héritage aux générations pour participer à la construction de l’identité inscrit le don dans une démarche militante, Annie Sugier croit à la continuité et au passage de relais des générations.

Pour Annie Sugier, connaître son histoire, ses histoires est absolument essentiel dans la prise de conscience féministe. La don d’archives est la traduction d’une volonté de contribuer et de participer à la construction de l’histoire pour rendre visible ce qui est toujours invisible : l’histoire des femmes.

Femmes célèbres victimes de violences

« Dès les premiers textes publiés dans les années 1970 par les militantes du Mouvement de libération des femmes, tous les aspects de l’oppression des femmes avaient été abordés. Parmi ceux-ci, les violences sexuelles. La prise de conscience de l’importance des violences conjugales ne viendra que plus tardivement, notamment sous mon impulsion, avec la création le 10 février 1976 d’une association spécialisée : SOS Femmes Alternatives et l’ouverture d’un premier refuge, le Centre Flora Tristan, rue du Landy à Clichy.

Figure 8 : Amour et violence de Annie Sugier et Anne Zelensky, chapitre sur les femmes battues célèbres. Tapuscrit annoté de la main des auteures. Centre des archives du féminisme, fonds Annie Sugier 48 AF.

Le récit des premières étapes de ce combat est présenté dans le livre Histoires du MLF, signé par Anne Zelensky (sous le pseudonyme d’Anne Tristan) et moi-même, Annie Sugier (sous le pseudonyme de Annie de Pisan), paru en 1977 chez Calmann-Lévy.

Les notes ici présentées font partie des documents que j’ai donnés au Centre des archives du féminisme d’Angers. Elles sont extraites du chapitre « Femmes battues célèbres » d’un livre sur les violences conjugales, que j’avais écrit avec Anne Zelensky, qui ne fut jamais publié sous cette forme, bien qu’initialement accepté par Gallimard. Les notes manuscrites sont de la main des deux autrices.

J’ai fait le choix de ce texte, parce que je reste persuadée que, comme dans l’affaire Weinstein, c’est lorsque des personnalités connues témoignent que nous nous identifions à leur vécu et que nous sommes à même de mieux saisir l’engrenage fatal qui conduit à la violence entre des êtres qui croient s’aimer.

Sans doute est-ce aussi une façon de rendre public un texte qui est resté si longtemps dans mon grenier, et qui rend compte de ma façon de décrypter dans ce que je lis ce que d’autres ne voient pas. » Annie Sugier

[1] GRAILLES Bénédicte « Les raisons du don. L’exemple du Centre des archives du féminisme (2001-2010) », dans BARD Christine (dir.), Les féministes de la deuxième vague, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, coll. Archives du féminisme, 2012, p.48

[2] Maternité esclave : les chimères, Paris, Union générale d’éditions, 1975, 319 pages.

[3] Les femmes s’entêtent, Paris, Gallimard, 1975, 478 pages.

[4]  PISAN Annie de, TRISTAN Anne, Histoires du MLF, Paris, Calmann-Levy, 262 pages.

[5] Propos d’Annie Sugier extraits de l’entretien de Claire Judais avec Annie Sugier à Paris, 11 mai 2018.