Nelly Trumel : témoigner pour les militantes de l’ombre

De l’émission de radio « Femmes Libres » au fonds d’archives

« Femmes libres, Femmes qui se libèrent ! Femmes qui se révoltent ! Femmes qui luttent ! Femmes qui témoignent ! C’est Femmes Libres sur Radio Libertaire ». Faisant le constat de l’absence d’émissions consacrées aux femmes sur Radio Libertaire, Nelly Trumel entend combler ce manque [1]. Son émission Femmes Libres est née en 1986, et son nom est un hommage à l’organisation féministe anarchiste « Mujeres Libres » constitué en 1936 pendant la révolution espagnole.

Figure 1 : Nelly Trumel au micro de Radio Libertaire, 1990, © Catherine Deudon

Ainsi, chaque mercredi, elle rend compte de l’actualité relative aux mouvements de femmes. L’émission se déroule en trois temps : tout d’abord Nelly Trumel présente les dernières actions menées sur le terrain par les militant.e.s, s’ensuit une courte revue de presse puis une rencontre avec une invitée féministe ponctuée d’échanges et de débats.

Nelly Trumel donne la parole tant aux militantes qu’aux artistes et chercheuses. Cette hétérogénéité des statuts, offre des points de vues et analyses divers et confèrent toute sa richesse à l’émission.

À ses débuts, l’émission n’avait pas vocation à être féministe. C’est au fil des appels des auditrices, des rencontres et des revues féministes abordées que l’émission le devient [2].

Ainsi, la conscience et l’engagement féministe de Nelly Trumel se développent au gré de la préparation des émissions. En effet, elle raconte « ne rien connaître au féminisme » avant d’animer cette émission. Pour les besoins de l’émission, elle a été amenée à se documenter sur les différents mouvements féministes, leurs histoires, leurs particularités. Jusqu’en 2012, date à laquelle elle cesse d’animer Femmes Libres, elle compile de nombreux documents sur les différentes thématiques abordées à l’antenne, « c’était un travail de fourmi, je passais des journées entières à construire tout cela» raconte-t-elle [3].

Tracts, comptes-rendus de réunions, coupures de presses auxquels viennent s’ajouter tous les enregistrements de l’émission [4], Nelly Trumel a tout gardé, tout conservé à son domicile jusqu’en 2012. Cette documentation très diverse donne une vision d’ensemble sur les féminismes des années 1980. Outre ces documents relatifs aux mouvements féministes, on trouve de multiples pièces témoignant de son insertion dans divers réseaux militants et associatifs comme par exemple Amnesty International. Réunies, l’ensemble de ces pièces constitue un fonds documentaire.

Figure 2 : Fonds Nelly Trumel (42 AF), Centre des archives du féminisme

 

Une démarche militante

En 2011, la possibilité de confier ses archives s’offre à elle. L’association Archives du féminisme la contacte et elle accepte immédiatement. Cette enthousiasme à confier ses archives s’explique de plusieurs manières. Tout d’abord, par l’attitude et le rapport de Nelly Trumel à ses documents en amont du don. En effet, son souhait est que tous ses documents soient préservés, elle a ainsi donné des consignes à sa fille concernant leur sauvegarde. Car c’est dans un dessein utilitaire qu’elle a conservé méticuleusement tous ses documents : « je savais que cela servirait un jour […] j’ai conscience que ce sont des sources énormes pour le féminisme » relate-t-elle [5]. La volonté de transmission se dévoile ici dans une logique d’usage d’écriture de l’histoire et de mémoire. Elle montre qu’elle conçoit ses archives comme des vecteurs d’histoire et de mémoire. Elle souhaite sauver de l’oubli et rendre hommage aux militantes anonymes qui ont œuvré dans l’ombre. Car toutes les féministes ne disposent pas des mêmes ressources pour constituer, assurer et maintenir le développement d’un fonds d’archives ; le devoir de transmettre revient à celles qui ont pu sauvegarder des traces, des preuves pour rendre voix et place aux « militantes de l’ombre ». Cette logique d’usage laisse transparaître un usage militant des archives.

La volonté de transmettre par les archives son histoire du féminisme était par ailleurs quelque chose de clairement établie chez Nelly Trumel. Quelques années auparavant, elle avait effectivement songé à confier ses archives, mais elle avait laissé cela en suspens ne sachant vers qui ou quoi se tourner. Ainsi, faut-il nuancer l’idée que le don s’est imposé à elle car dans son cas, il était mûrement réfléchi.

Les archives de Nelly Trumel ont été données dans l’optique de passer le relais aux générations suivantes. Encore aujourd’hui cette volonté de transmettre reste intact. La démarche de don de Nelly Trumel est à inscrire dans un militantisme continué, elle poursuit aujourd’hui ses combats sur les réseaux sociaux. Ce militantisme « virtuel » donne lieu à d’autres types de documents d’archives, produits pour ouvrir à de nouveaux enjeux et de nouvelles perspectives pour demain : archiver les données des réseaux sociaux.

[1] Faut qu’ça germe !, Paris, Monde Libertaire, 2016, p.12

[2] Faut qu’ça germe !, Paris, Monde Libertaire, 2016, p.13

[3] Extraits de l’entretien téléphonique de Claire Judais avec Nelly Trumel le 11 mai 2018.

[4] Une partie des enregistrements de l’émission Femmes Libres sont conservés au Centre des archives du féminisme à Angers et ont été numérisés.

[5] Entretien téléphonique de Claire Judais avec Nelly Trumel le 11 mai 2018.