Béatrice Lagarde : donner pour la mémoire

Un fonds d’archives photographiques du féminisme d’État aux militantes de terrain

Béatrice Lagarde, photographe reporter dans les années 1980 est à l’origine de la création du secteur photo de l’Agence Femmes Information (AFI)[1]. Crée en 1978, par la journaliste Claire Poinsignon, l’AFI vise à donner une visibilité et une légitimité aux femmes qui travaillent dans le milieu des médias. À la cessation des activités de l’association et de la fermeture de l’agence en 1986, les collections de photographies sont données par la présidente de l’association à Florence Montreynaud, féministe militante de l’association. Outre les photographies ayant traits aux femmes et aux féminismes, la collection comporte des clichés de  manifestations à caractère public, social (actions syndicales, marche de la CGT du 23 mars 1979) ou encore culturel (exposition Fellini de Giuletta Massina en novembre 1982). Ce fonds d’archives photographiques a été donné en 2001 par Florence Montreynaud au Centre des archives du féminisme d’Angers accompagné d’une documentation très partielle sur le fonctionnement de l’association.

Figure 1 : Assemblée générale de l’Agence Femme Information, photographie noir et blanc, 18 X 24 cm, © Béatrice Lagarde

Béatrice Lagarde s’implique également dans l’Association des Femmes Journalistes (AFJ) dès sa fondation en 1981. Son fonds, comporte des clichés relatifs à cette association pour la période allant de 1987 à 2002. Cette photographie a été prise en 1981 lors de la première assemblée générale de l’association. Béatrice Lagarde a fait le choix d’un plan large, elle se situe en dehors du cercle de manière à ce que toutes les militantes apparaissent sur le cliché.

Également en charge de la photographie au ministère des Droits de la femme d’Yvette Roudy de 1983 à 1986 puis du secrétariat d’État chargé des droits des femmes (de 1988 à 1991), elle en conserve la trace dans ses archives.

Son fonds comporte des clichés de diverses manifestations culturelles (vernissages d’expositions, événements littéraires), de conférences de presse et de visites officielles organisées dans ce cadre institutionnel.

Figure 2 : Inauguration du CNIDF (Centre National d’Information sur les Droits des Femmes) avec Paul Quiles, Yvette Roudy, Edwige Avice, Henri Maurel, Françoise Michaud, photographie noir et blanc, 12 X 18 cm, © Béatrice Lagarde

Béatrice Lagarde immortalise des événements officiels, comme à l’inauguration du Centre National d’Information sur les Droits des Femmes (Figure 2). Yvette Roudy, au centre est chargée d’effectuer le geste officiel : couper le ruban tricolore.

Le fonds de la photographe est très riche et varié : plans, cadrages et sujets photographiés diffèrent selon l’institution à laquelle la photographie est destinée. Ainsi, on trouve aussi bien des portraits officiels de femmes politiques dans le cadre de leur fonction que des photographies de groupe de militantes en actions.

Figure 3 : Michèle André, portrait officiel, photographie couleur, 12 X 18 cm, fonds Béatrice Lagarde, 27 AF © Béatrice Lagarde
Figure 4 : Manifestation pour l’avortement, 23 octobre 1982, Paris, sous-fonds Florence Montreynaud, photographie de l’AFI 4 AF 21-36 © Béatrice Lagarde
Figure 5 : Journée internationale de la femme le 8 mars 1980, photographie, noir et blanc, 17,7 X 24 cm

Le fonds d’archives photographique de Béatrice Lagarde a une portée féministe et rend compte de différents féminismes qui se constitue dans les années 1980 : le féminisme dit « d’État » et le féminisme « non institutionnel » qui conçoit la lutte en dehors et en marge de toutes institutions. Ce double aspect donne à voir les différents modes d’actions employés dans la lutte qui diffèrent selon les féminismes et renvoi ainsi à une mémoire plurielle.

 Les photographies sont au nombre de 102 et ont été produites dans un cadre professionnel. Ainsi, cela explique le caractère complet du fonds dû à un archivage systématique et rigoureux comme l’explique sa productrice : « en tant que photographe on est bien obligé de tout garder et de bien ranger ses archives pour les retrouver lorsqu’on a une demande par exemple de publication[2] ». La conservation  de ses archives a été pensée dans un premier temps dans un cadre strictement professionnel pour des raisons utilitaires et légales. La démarche de don intervient plus tardivement est quant à elle singulière, à la fois déclenché et réfléchie, le don de ses archives professionnelles est motivé par une volonté de sauvegarder une mémoire, celle des féminismes des années 1980.

Donner ses archives professionnelles

Béatrice Lagarde a fait don de ses clichés à l’occasion d’une visite au Centre des archives du féminisme d’Angers pour revoir ses photographies présentes dans le fonds de l’AFI. C’est l’association Archives du féminisme, animée par un souci de représentativité des fonds collectés, qui incite Béatrice Lagarde à donner son fonds personnel d’archives photographiques. Lorsque le service d’archive se trouve à l’initiative du contact avec le producteur, il lui fait prendre conscience de l’intérêt collectif public des documents qu’il détient et de l’intérêt de les confier.[3]

Dans le cas de Béatrice Lagarde, c’est bien le CAF qui l’a amené vers la démarche de don, cependant elle affirme qu’elle aurait donné à un moment ou un autre ses archives. Elle a conscience de leur valeur historique et définit la photographie de « témoignages indispensables ».

 Le don de ses archives, s’inscrit dans une dimension mémorielle. La fonction première de la photographie est de garder la mémoire des choses, des êtres et des faits remarquables[4].

L’impact affectif s’en trouve amoindris compte tenu de la nature professionnelle de son fonds d’archives et par le caractère modeste de celui-ci. En effet, la photographie féministe n’a représenté qu’un pan de sa carrière, qu’un aspect de son métier sur quelques années. Cependant, elle souhaite le faire partager au plus grand nombre dans un souci animée par un désir de transmission. La priorité pour Béatrice Lagarde est que son fonds soit numérisé et visible en ligne pour le rendre accessible à tout.e.s et l’inscrire dans le patrimoine commun. Ce souhait implicite de contre-don s’accompagne d’un souci d’ordre mémoriel car la photographie est mémoire, et qu’elle constitue ici la mémoire collective des féminismes.

[1] Le département nouveaux médias de l’association est ouvert en 1984

[2] Réponse de Béatrice Lagarde par mail  au questionnaire sur le don d’archives, le

[3] VALLET Angéline, Confier ses archives, le don et le dépôt d’archives privées dans un service public d’archives, mémoire de licence professionnelles traitement et gestion des archives et des bibliothèques spécialité archives sous la direction de M. Patrice Marcilloux, 2014.

[4] http://expositions.bnf.fr/socgeo/pedago/007.htm