Le Planning familial : de l’histoire aux archives

Le centre de documentation : une volonté de conservation des archives

Le Mouvement Français pour le Planning familial est une association nationale d’éducation populaire structurée par une confédération d’associations départementales autonomes. Les associations du Planning familial œuvrent pour promouvoir la santé sexuelle, la contraception, le choix d’une maternité choisie, la lutte contre le sida et les IST ou encore la lutte contre toutes formes de violences.

Figure 1 : Centre de documentation du Planning familial, © Mouvement français pour le planning familial.

La confédération nationale du Planning familial, située à Paris dans le 11e arrondissement s’est dotée au début des années 1960  d’une bibliothèque constituée essentiellement d’ouvrages ayant trait à la médecine et à usage exclusif des médecins et des animatrices de l’association. En 1977, cette bibliothèque devient un centre de documentation et enrichit son fonds d’ouvrages sur les droits des femmes. L’accroissement du fonds sur ces thématiques correspond à la période de politisation du Planning familial.

Le fonds présent à la confédération du Planning familial est le plus ample en terme volumétrique. Il contient les archives historiques de l’association, des débuts de la Maternité Heureuse (l’ancêtre du Planning familial créé en 1956) jusqu’à aujourd’hui. Les antennes de l’association, en région disposent elles aussi de leurs propres archives qui renseignent sur les actions locales et montrent le fonctionnement en réseau de l’association.

 Le Planning familial a depuis 1956 conservé ses archives sans pour autant susciter de débat à ce sujet. En effet, la place disponible pour accumuler, ranger, compiler les documents provenant de leur action est suffisante. Aujourd’hui, les archives disposent de 300 m2 sur trois étages. De plus, aucun document d’archives n’aurait été détruit par mégarde ou ignorance. Les documentalistes ont systématiquement tout gardé, par crainte de supprimer des documents d’une grande valeur, Chrystel Grosso, responsable du centre de documentation préfère rester prudente : « nous ne sommes pas archivistes nous sommes deux documentalistes, donc, dans le doute, on garde car on ne sait jamais, ce qui ne nous paraissait pas d’un très grand intérêt d’un point de vue documentaire pouvait en avoir un d’un point de vue archivistique »[1].

Figure 2 : Archives entreposées au sein de la Confédération nationale du Planning familial à Paris, © Claire Judais

Par exemple, des fiches de renseignements sur des femmes reçues par l’association dans le cadre d’avortements illégaux ont été retrouvées dans les archives. D’un point de vue documentaire, l’intérêt de ces fiches était faible et il avait été envisagé de s’en débarrasser. Mais Charline Ferré, l’archiviste qui a réalisé le récolement des archives, a réévalué ces documents, pointant leur intérêt tant historique que sociologique. En effet, ajoute Lydie Porée, présidente du Planning familial d’Ille-et-Vilaine  « la confédération entretient un rapport ambivalent avec ses archives : au quotidien, la gestion n’est pas forcément pensée, anticipée… mais les administratrices ont conscience de la valeur des documents accumulés ». Le transfert d’un fonds d’archives est toujours à mettre en relation avec un ou des éléments déclencheurs qui amènent à une prise de conscience. Pour la confédération nationale du Planning familial, un de ces éléments déclencheurs s’est produit en 2006, date de ses 50 ans.

Figure 3 : Le deuxième sous-sol, Confédération nationale du Planning familial, Paris, © Claire Judais

Les 50 ans du Planning familial : le devoir d’archiver

À l’occasion de cet anniversaire, des colloques, des conférences, des expositions et la publication d’ouvrages se multiplient. La volonté du Planning familial de raconter, de comprendre sa propre histoire est entendue par l’association Archives du féminisme. À son initiative, s’est tenu en 2005-2006 un séminaire sur l’histoire du Planning familial à Sciences Po ainsi qu’un colloque à la Bibliothèque nationale de France le 8 mars 2006 : « le Planning familial : 50 ans d’histoire ». [2] À l’issu du colloque est publié dans la collection Archives du féminisme aux Presses Universitaires de Rennes, un ouvrage qui relate l’histoire et la mémoire du Planning familial à travers différents thèmes et en prenant appui sur des témoignages. Le travail de valorisation de l’histoire du Planning familial se poursuit avec l’exposition « le Planning familial : 50 ans en affiches » visible sur le musée virtuel de l’histoire des femmes et du genre Musea[3]. L’ensemble du travail de valorisation est mené en collaboration avec les militantes du Planning familial.

Figure 4 : Le Planning familial histoire et mémoire 1956-2006, PUR, coll. Archives du féminisme, 2006

Le besoin d’accéder aux sources pour permettre l’écriture de l’histoire du Planning familial, a permis de prendre conscience de  leur importance mais aussi celle de leur accès et de leur classement.

En effet, la consultation des archives pour ces diverses actions de valorisation s’est avérée très compliquée. Le manque de prise en charge par un traitement archivistique rigoureux se fait sentir et nuit à la constitution et à la transmission de l’histoire de l’association : la gestion des archives devient un enjeu majeur. C’est pourquoi, le centre de documentation du Planning familial fait appel à une archiviste qui pendant trois mois trie, classe, mesure et repère les archives. Au détour d’un classement, des pièces d’une grande valeur historique sont retrouvées.

Les bobines égarées

Lors de la consultation des archives pour le 50e anniversaire du Planning familial, des bobines de 27 films amateurs et professionnels datant des années 1970-1980 ont été retrouvées. Depuis, grâce à un partenariat avec la BNF, les 27 films ont été numérisés. Ces pièces d’archives représentent de précieuses sources pour l’histoire des féminismes, elles rendent compte de diverses thématiques comme la contraception, les violences faites aux femmes ou encore l’éducation à la sexualité[4].

Dans la masse des archives du Planning familial, d’autres pièces se sont probablement aussi égarées. Cet anniversaire semble avoir déclenché une prise de conscience de la nécessité d’effectuer un réel traitement archivistique des fonds et d’envisager un possible don à une institution habilitée où elles seront protégées, sauvegardées et en sécurité. À ces considérations naturelles s’ajoutent des motivations d’ordre politiques et militantes : ce sont celles invoquées par l’association pour expliquer sa démarche.

Faire don des archives : un choix politique et militant

Le devoir d’archiver et de bien archiver est d’autant plus important que les associations féministes, qui luttent pour les droits fondamentaux des femmes sont soumises à la conjoncture politique et sont constamment susceptibles d’être mises en danger. Par exemple, depuis les années 2000, les baisses drastiques de subventions menacent le fonctionnement des associations départementales du Planning familial.

Si le fonctionnement du Planning familial est menacé, que dire alors de ses archives ? C’est le raisonnement qui a poussé Chrystel Grosso documentaliste responsable du centre de documentation du Planning familial  à « anticiper et protéger au cas où ». En mai 2017, le risque que représente le Front National qualifié au second tour des élections présidentielles amène à une sérieuse réflexion sur le don des archives. Ici, la motivation à donner les archives est fondée sur la protection du bien et s’inscrit dans une démarche de « don actif » où la volonté de donner est affirmée et réfléchie.[5] Décider à qui reviendra la tâche de conserver, classer et mettre à disposition les archives du Planning familial a nécessité un processus démocratique, les confier à un service d’archives compétent n’est pas un choix évident. D’une part, une certaine méfiance a pu être ressentie à l’égard de cette institution. Comme pour d’autres associations et partis politique, l’État est perçu comme un « État policier », avec lequel ils ont pu parfois entretenir des rapports conflictuels[6]. Confier ou ne pas confier ses archives à un service d’archives public reste donc un choix véritablement politique.

Tout d’abord on remarque que c’est le côté associatif qui a beaucoup joué dans le choix du Centre des archives du féminisme. La confédération nationale avance l’aspect plus familial ainsi que le cadre semblable à celui du Planning à échelle humaine.

Ici, le sentiment d’entre soi établit un pacte de confiance entre l’association et le lieu de conservation. Cette confiance s’accentue avec la liaison opérée par le CAF et ses intermédiaires entre le réseau militant et le réseau universitaire[7]. Le souci de visibilité, de valorisation et d’exploitation des fonds est primordial pour l’association : « nos archives [au CAF] ne seraient pas complètement englouties dans la masse que peuvent être les Archives nationales »[8]. Ayant déjà travaillé avec l’association Archives du féminisme pour de nombreuses actions de valorisation, le Planning familial a l’assurance que ses archives seront bien traitées, bien exploitées et bien valorisées.

Donner ses archives pour une association comme le Planning familial est une manière de militer, de transmettre et d’entretenir une relation avec les chercheurs, avec les historien.ne.s en s’assurant  de laisser une trace dans l’histoire et de la pérenniser. En cela, il ne s’agit pas d’une perte ou d’une disparition mais au contraire d’une renaissance.  Néanmoins, pour Chrystel Grosso qui côtoie quotidiennement ces archives, la prise de décision du don a été pour le moins douloureux. Elle a ressenti l’effet d’un arrachement, l’impression qu’on lui enlevait quelque chose.  En effet, le don n’est pas sans impact affectif et peut s’avérer douloureux, peut-être même plus encore lorsqu’il s’agit d’archives associatives.

À la suite d’une prise de distance nécessaire, cette phase laisse place à une satisfaction dans l’acte de donner ces archives et voit dans l’acte de don, opéré par la raison, une opportunité de servir les intérêts collectifs à travers la transmission d’une histoire et d’une mémoire militante. De plus, dans ce cas précis, le fonds du Planning familial va rejoindre au Centre des archives du féminisme, d’autres fonds avec lesquels il est en relation directe.

De la convergence des fonds du Planning familial 

Le Centre des archives du féminisme d’Angers abrite plusieurs fonds associatifs et personnels qui sont à mettre en correspondance avec le Planning familial.

Par exemple, le fonds du Dr Pierre Simon contient des archives antérieures au Planning familial, notamment sur la Maternité Heureuse dont il est le co-fondateur. Il milite tout au long de sa carrière pour la contraception et l’avortement. On trouve également des archives complémentaires comme des instruments utilisés pour des poses de contraceptifs destinés à la formation des médecins du Planning familial.

Le CAF dispose également du fonds du Dr Suzanne Kepès militante au sein du Planning familial dès les débuts. Concernant les fonds associatifs, le Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception a également été déposé au CAF. Il contient une très riche documentation sur toutes les luttes et centres d’intérêts de ce mouvement féministe des années 1970. Cette association a beaucoup travaillé avec le Planning familial jusqu’à sa disparition dans les années qui ont suivies la promulgation de la loi Veil sur le droit à l’IVG (1975). Enfin le fonds du Groupe Information Santé (GIS), également déposé au CAF, propose un aperçu de la mise en réseau d’associations de défense des droits à l’avortement et à la contraception.

Figure 5 : Instrument gynécologique  du Dr Pierre Simon, fonds Pierre Simon 17 AF. © Droits réservés

La présence de ces fonds au Centre des archives du féminisme a joué très fortement dans le choix de la confédération nationale du Planning familial à donner ses archives dans la même institution. Il constitue également une des attentes, un des éléments du « contre-don », comme le dit Lydie Porée « nous attendons que le fonds soit classé, valorisé et mis en correspondance avec d’autres fonds (Pierre Simon, Suzanne Kepès, MLAC, etc ».

Donner ses archives dans un centre d’archives spécialisé, relève d’un choix politique mais aussi et surtout militant du Planning familial d’inscrire son histoire, ses histoires, dans celle des féminismes.

Bibliographie indicative

FRIEDMANN Isabelle, Liberté, sexualités, féminisme : 50 ans de combat du Planning pour les droits des femmes, Paris, La Découverte, 2006.

BARD Christine, MOSSUZ-LAVAU Janine (dir.) , Le Planning familial : histoire et mémoire, 1956-2006, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, coll, Archives du féminism, 2006.

Intervention de Chrystel Grosso et de Lydie Porée « Les archives du Planning familial : retour sur la mise en œuvre d’une politique de recensement, de conservation et de valorisation d’archives associatives féministes », au colloque international « Les féministes et leurs archives, militantisme, mémoire et recherche (1968-2018) », Université d’Angers, 27 mars 2018.

Intervention de Bénédicte Grailles « Don d’archives, don de soi : le cas des archives militantes », séminaire ALMA, Université d’Angers, 18 janvier 2013.

[1] Entretien mené par Claire Judais avec Chrystel Grosso le 9 mai 2018 au Centre de documentation du Planning familial à Paris.

[2] En collaboration avec le MFPF, le Centre d’histoire de Science Po et l’HIRES.

[3] http://musea.univ-angers.fr/exhibits/show/le-planning-familial-50-ans/presentation

[4] Le Planning familial, Catalogue du fonds d’archives audiovisuelles du Mouvement français pour le Planning familial, septembre 2011.

[5] VERRY Elisabeth, « Le don un geste de (sur)vie », dans GRAILLES Bénédicte (dir.), Les dons d’archives et de bibliothèques XIX e– XXIème. De l’intention à la contrepartie, Rennes Presses Universitaire de Rennes, 2018.

[6] LACOUSSE Magali, « Les associations face à leurs archives : protection ou diffusion ? », dans La Gazette des archives, n°201, 2006-1. Les archives privées (Journées d’études de la section des Archives départementales, Angers, 7 octobre 2005) pp. 101-110

[7] GRAILLES Bénédicte, « Dons d’écrits, transmission d’un engagement », dans GRAILLES Bénédicte (dir.), Les dons d’archives et de bibliothèques XIX e– XXIème. De l’intention à la contrepartie, Rennes Presses Universitaire de Rennes, 2018.

[8] Entretien mené par Claire Judais avec Chrystel Grosso au Centre de documentation du Planning familial à Paris, le 9 mai 2018.