Fonds d’archives conservé à la BDIC depuis 2000.
En 1940, la Gestapo s’empara des archives de la Ligue des Droits de l’Homme, en même temps que de celles de nombreux partis, syndicats, associations et personnalités politiques ou intellectuelles. Toutes ces archives furent expédiées en Allemagne puis récupérées, à la fin de la guerre, par l’armée soviétique qui, les considérant comme des « réparations de guerre », les emporta à Moscou, où elles furent conservées dans un bâtiment particulier des Archives centrales d’État. Ce n’est qu’en 2000 que ces archives furent rapatriées en France et restituées à leurs propriétaires ou à leurs ayants droit.
La LDH a alors décidé de déposer ses archives à la Bibliothèque de documentation internationale contemporaine (BDIC), dans le but de les rendre accessibles rapidement à tous les chercheurs, sans aucune restriction.
Parmi ces archives, bien peu concernent les droits des femmes : moins d’un carton sur 659. La minceur de ce dossier n’enlève cependant rien à son intérêt : car il concerne la mise en place, durant quelques années (entre 1923 et 1937), d’une Commission féministe de la LDH, chargée d’étudier « les problèmes juridiques et sociaux concernant spécialement les femmes ».
Ces archives débutent par une lettre de la LDH d’août 1923 à Cécile Brunschvicg, grande figure féministe de l’époque, dirigeante de l’Union française pour le suffrage des femmes (UFSF) [1] : le Comité central (CC) de la LDH a décidé de « donner une attention spéciale aux revendications des femmes » et de constituer à cet effet une commission chargée de présenter au CC « des avis et des projets ». La LDH lui propose de participer à cette commission et lui demande de suggérer des noms de femmes et d’hommes susceptibles d’y participer également. Réponse très rapide de C. Brunschvicg : « Je suis persuadée que si la Ligue le veut vraiment, si elle défend notre cause comme elle a défendu Caillaux et Malvy, nous pouvons l’emporter à la rentrée. Depuis longtemps j’en ai la conviction – et j’ose vous avouer que je trouvais pour nous la Ligue sympathique … mais tiède. Donc c’est avec joie que j’ai lu votre mot. »
Les premières réunions de cette Commission féministe portent sur le suffrage des femmes, sur lequel la discussion avait repris à la Chambre en décembre 1923 pour être cependant très vite retirée de son ordre du jour. La Commission demande donc au CC de la LDH de prendre l’initiative de « protester contre cette dérobade de la Chambre » et de rédiger en même temps un appel au Sénat. De son côté, l’UFSF propose à la LDH d’organiser en commun une conférence publique en faveur du droit de vote des femmes : cette initiative aura lieu à Paris le 27 janvier 1924, avec la participation de Victor Basch, vice-président de la LDH, et du député Léon Blum, sous la présidence de Germaine Malaterre-Sellier, présidente du Groupe de Paris de l’UFSF. Dans une lettre au Président de la LDH, C. Brunschvicg se félicite du succès de cette initiative et espère que ce n’est là « que le commencement d’une action commune fructueuse ».
Cependant, ces archives s’arrêtent peu de temps après, pour ne reprendre qu’en 1927. Difficile de savoir s’il s’agit d’un arrêt de la commission ou de la disparition des archives. Le premier courrier apparaissant en 1927 ferait pencher pour la première hypothèse : il s’agit d’une lettre de la LDH à Léon et Cécile Brunschvicg leur proposant de « réunir au plus tôt la Commission féministe créée récemment par le Comité Central » (lettre du 28/04/27). On trouve ensuite, de novembre 1927 à fin 1928, le compte rendu de plusieurs réunions de la commission, d’abord consacrées essentiellement aux droits civils des femmes, notamment l’incapacité des femmes mariées, toujours placées sous la tutelle de l’autorité maritale.
En même temps, la Commission reprend la discussion sur le suffrage des femmes, avec l’idée de procéder par étapes : « faire campagne en vue d’obtenir l’électorat des femmes et leur éligibilité dans les conseils municipaux ». Il est décidé que « la LDH profitera de la période électorale pour inviter ses conférenciers à traiter ce sujet ». Plusieurs réunions de la commission sont alors consacrées à la réalisation d’un numéro des Cahiers des droits de l’homme consacré au suffrage des femmes [2].
Mais les archives de la LDH s’arrêtent ensuite, pour ne reprendre qu’en 1937. À la lecture des trois lettres conservées pour cette année-là, toutes trois du 24 avril, il est certain que ce vide de plusieurs années est dû à la disparition de la commission durant cette période : ces lettres évoquent en effet le regret exprimé par plusieurs personnes « que la Commission féministe n’ait pas été réunie depuis plusieurs années et que la Ligue semble se désintéresser des problèmes qu’étudiait cette commission ». La Commission est donc convoquée avec à l’ordre du jour « la réorganisation de la Commission » et un « plan de travaux pour l’année 1937 ». Les archives de la LDH s’arrêtent malheureusement là. La Commission féministe a-t-elle continué ou non à se réunir ? Aux chercheuses et chercheurs de poursuivre cette recherche…
On ne peut cependant terminer ce rapide tour d’horizon sans signaler la présence, dans ces archives, d’un « vœu » adressé à la Commission féministe par une adhérente de la LDH : « Féministe convaincue, mais laïque avant tout, je verrais actuellement avec la plus grande appréhension la brusque arrivée de la femme dans la lutte politique à laquelle rien encore ne l’a préparée ». Ce vœu, envoyé à la Commission avec « la pleine adhésion » de la section de Sisteron de la LDH, ne fait que refléter une opinion encore largement répandue parmi les adhérents de base (et vigoureusement défendue par nombre de militants radicaux et socialistes), selon laquelle le suffrage des femmes représenterait un « péril clérical et réactionnaire ». Rappelons simplement qu’il a fallu attendre 1944, en France, pour que le droit de vote soit accordé aux femmes ! [3]
Anne-Marie Pavillard, « La commission féministe de la Ligue des droits de l’homme ».
Extrait du Bulletin Archives du féminisme, n° 5, juin 2003.
Notes
[1] À noter cependant que pas une seule fois dans ces archives n’apparaît le prénom de Cécile Brunschvicg : tous les courriers de la LDH sont adressés à « Madame Léon Brunschvicg », du nom de son mari.
[2] Les Cahiers des droits de l’homme du 30 janvier 1929, 29e année, n° 3.
[3] À l’occasion de l’ouverture des archives de la LDH, la BDIC a organisé, en octobre 2002, deux journées d’études sur le thème : Les droits de l’Homme au 20e siècle : combats et débats. Une des interventions portait sur la LDH et les femmes : Anne-Martine Fabre, auteure d’un DEA sur ce sujet (La LDH et la femme des origines à 1914, IEP Paris, 1988), montra l’importance que la direction de la Ligue a portée, dès le début du siècle, à la défense des droits des femmes. Elle parla notamment des revendications adoptées au congrès de 1909, sur le travail des femmes, la maternité, les droits civils et la prostitution, et du rôle particulièrement important de l’avocate féministe Maria Vérone, membre du Comité central de la LDH de 1910 à 1919. Elle évoqua aussi, d’un autre côté, les réticences de nombreux « ligueurs » de base à l’égard du vote féminin.