Il est toujours difficile d’évaluer l’impact des représentations sur les actes. Ainsi, « le lien entre représentation de la violence et incitation à la violence est délicat à établir » [1]. Pourtant comment tenter de faire passer des messages de respect, de non-violence et de tolérance lorsque les représentations de violence et les atteintes à la dignité humaine envahissent la publicité, le cinéma, les émissions de télévision, les journaux ? La publicité n’est certes pas la seule en cause mais elle participe d’un phénomène global.
Massivement présente dans notre quotidien, reflétant de manière caractéristique les valeurs et les stéréotypes de notre société, la publicité par les images qu’elle renvoie des femmes est révélatrice d’une époque et de son climat politico-social. En même temps, elle est certainement la forme de communication qui se diffuse le plus massivement et le plus rapidement.
« La publicité est (….) une culture quotidienne, vulgarisée, populaire, la culture de la rue et du papier que l’on jette, (…) c’est un phénomène social » [2].
« La publicité s’est arrogé un rôle créateur de culture par sa production sans cesse renouvelée d’images profondément porteuses de sens, au-delà de leur futilité d’apparence et de leur mercantilisme d’objectif. La pub occupe une fonction de parole dominante… » [3]
Elle est totalement intégrée à notre quotidien ; comment penser qu’une affiche en 4m par 3m devant laquelle nous passons plusieurs fois par jour peut ne pas avoir d’influence sur notre perception de la société et des rapports entre les sexes ? Quand à longueur d’affiches on voit des femmes soumises, humiliées voir animalisées, comment ne pas se poser la question de leur influence sur le public et sur la manière dont les femmes sont considérées et traitées par la suite.
Comment faire comprendre que les hommes et les femmes sont égaux, pas seulement en droits, mais aussi dans les faits (ce qui est malheureusement loin d’être le cas) et ont droit au même respect lorsque face à certaines affiches qui présentent les femmes comme des « potiches » sans cervelle, on nous scande « Soyez belles et taisez-vous » ou encore pire : « Laissez vous fouetter en silence ». On ne compte plus le nombre de publicités qui jouent sur l’analogie femme/objet telle l’inoubliable publicité pour une marque de voiture au slogan : « Il a l’argent, il a la voiture, il aura la femme« . LA femme, objet délicat, raffiné et luxueux a encore de beaux jours devant elle. A ses côtés, LA femme fouettée vantant de la crème fraîche, LA femme violée icône du porno-chic présentant des vêtements et accessoires grand luxe… Et que dire d’une blonde qui rêve d’au moins sept minutes d’intelligence par jour en mangeant des plats cuisinés ?
Le temps des réactions
Des voix s’élèvent contre ces usages du féminin dans la publicité. La Meute, mouvement contre la publicité sexiste est, en France, la seule organisation qui a pour unique objet de réflexion et d’action le sexisme dans la publicité.
Son action est avant tout pédagogique. Il s’agit d’expliquer au public les dangers de certaines représentations ; beaucoup d’associations, comme les Chiennes de garde, intègrent ce thème dans leurs réflexions, mais pour elles il reste un thème parmi d’autres.
Les signataires du manifeste Non à la publicité sexiste, qui composent la Meute, demandent aux annonceurs de retirer les publicités jugées inacceptables et de s’engager à ne plus utiliser d’éléments sexistes dans leurs futures campagnes sous peine de boycotter les produits de la marque.
Autoréguler ou légiférer ?
Les mouvements féministes réclament depuis les années 1970-1975 une loi antisexiste sur le modèle de la loi antiraciste votée en 1972. Cette loi permettrait de poursuivre en justice les faits et représentations à caractère sexiste (images, propos, actes…). Cette idée provient aussi d’une prise de conscience du fait que les actions spectaculaires ponctuelles ont peu de portée à long terme si elles ne sont pas articulées vers un but ultime.
Depuis l’échec cuisant en 1983 (après deux précédentes tentatives) du projet de « loi relative à la lutte contre les discriminations fondées sur le sexe » présenté par Yvette Roudy, Ministre des Droits de la Femme, le pouvoir politique n’a jamais osé s’aventurer sur le terrain très glissant d’une loi antisexiste, qui effraie.
Retour à l’ordre moral, pudibonderie, croisade contre la liberté de création et d’expression, les féministes qui réclament cette loi sont accusées de tous les maux.
Dès lors, deux logiques sont en présence : la logique législative qui consisterait en l’élaboration d’une loi antisexiste et la logique d’autorégulation des professionnels de la publicité.
Le Bureau de Vérification de la Publicité (BVP), association interprofessionnelle (rassemblant environ 700 adhérents : agences, annonceurs médias et supports), est l’organisme chargé de veiller à la bonne gestion de l’autodiscipline.
Le BVP n’a qu’un rôle consultatif. Il rend des « avis » ; il déconseille mais il n’interdit pas. Mais les règles ne sont pas les mêmes selon qu’on considère la télévision et l’affichage. En accord avec les régies des chaînes de télévision française, aucun spot publicitaire n’est diffusé sur les écrans sans avis favorable du BVP. Par contre, le rôle de ce dernier est beaucoup plus limité sur la presse et l’affichage, qui nous intéresse ici.
Une recommandation du BVP a été rédigée en 1975 sur « l’image de la femme« , elle est devenue en 2001 une recommandation sur « l’image de la personne humaine« . Le BVP veille ensuite à ce que ses règles déontologiques soient respectées. Mais il ne se prononce que sur demande de ses adhérents pour avis avant diffusion. Il peut aussi intervenir après diffusion auprès des responsables d’une publicité pour leur demander de la retirer suite aux réactions suscitées.
Cela vient d’être le cas pour la publicité Sloggi affichant des jeunes femmes en string dans des postures érotiques et relance le débat sur l’efficacité de l’autodiscipline. Comment les professionnels de la communication publicitaire peuvent-ils s’autocensurer pour éviter que l’Etat ne légifère ?
Il faut remarquer que le BVP a un rôle assez limité par rapport aux images véhiculées ; il agit surtout en ce qui concerne la publicité mensongère même s’il prend de plus en plus en considération les dérives sexistes de certaines publicités.
Ségolène Royal, députée socialiste des Deux-Sèvres avait protesté face à la campagne Sloggi « portant atteinte à l’intimité des femmes et à la protection de l’enfance« .
Nous remarquerons que comme dans le débat autour de l’interdiction ou la limitation de la pornographie à la télévision on utilise l’argument de la protection des enfants. Lorsqu’on réagit face à des dérives sexistes le problème est de ne pas apparaître comme moralisateur ; sur un terrain où la frange ultra-conservatrice de l’extrême droite fait entendre sa voix, se focalisant non sur le sexisme et les conséquences néfastes que ce genre de publicité a sur la perception du féminin et la violence dans la société mais sur la décence, les mœurs, la protection de l’enfance…
Rapport 2001 et après ? Démagogie ou réelle volonté politique ?
Un rapport sur « l’image des femmes dans la publicité » avait été remis en 2001 à Nicole Péry qui était alors Secrétaire d’Etat aux Droits des Femmes et à la formation professionnelle.
Ce rapport reconnaît que « depuis quelques années et avec une fréquence accrue au cours des derniers mois, la publicité a présenté des images de femmes jugées par beaucoup comme humiliantes et dégradantes et comportant de surcroît des risques d’atteinte à la dignité de la personne humaine avec des images incitant à la violence contre les femmes ou à la discrimination en raison du sexe » [4].
Des ébauches de solutions étaient proposées, passant par le renforcement de l’autodiscipline. Mais le rapport a soigneusement contourné la question épineuse d’une loi antisexiste.
La menace d’une loi antisexiste est brandie à échéance régulière par l’Etat pour contraindre les publicitaires à « jouer le jeu » mais il ne semble pas y avoir de réelle volonté politique de légiférer. Une proposition de loi a été déposée début février par Jean-Marc Nesme, député de Saône et Loire, « visant à créer un délit d’atteinte à la dignité de l’homme et de la femme par l’image publicitaire« . Il est trop tôt pour dire s’il s’agit d’une réelle volonté politique qui sera suivie d’effets concrets ou si l’on frise la démagogie.
De plus, le BVP a présenté un rapport sur les dérives sexistes en matière d’affichage et presse écrite concernant la période de janvier à mai 2003, à la demande de Nicole Ameline, Ministre déléguée à la parité et à l’égalité professionnelle. Celui-ci constate que le nombre de campagnes montrées du doigt est très restreint (43 campagnes sur un total d’environ 15 000 campagnes). Ceci n’est pourtant pas l’avis de groupes comme la Meute, pour qui le phénomène est plus répandu.
Les débats vont bon train mais aucune initiative concrète n’est réellement menée. Plusieurs pistes de réflexion sont proposées. L’autorégulation n’est, dans les faits, pour le moment, pas remise en cause et le rôle du BVP n’est pas remis en question. On ne se demande pas si l’autorégulation est la bonne solution, on se demande comment la renforcer.
De plus, le ministère envisage d’évoluer vers un système de co-régulation ; les pouvoirs publics s’associeraient au BVP et auraient un droit de regard sur les règles établies par la profession et sur les avis délivrés. Renforcer les règles, c’est bien, les appliquer scrupuleusement serait mieux.
En outre, le ministère délégué à la parité et à l’égalité professionnelle a ouvert en février un espace public de débat sur la publicité sexiste. Le public dispose à présent d’une adresse courriel, d’un numéro de téléphone et d’une adresse postale pour s’exprimer sur le sujet [5]. Un bilan des contributions doit être réalisé pour permettre de relancer une réflexion et proposer des améliorations.
Emilie Rodriguez, « L’image des femmes dans l’univers publicitaire. Entre indignation et projet de loi ? » Extrait du Bulletin Archives du féminisme, n° 7, juillet 2004 Auteure de Les mobilisations contre les publicités « sexistes » : le temps de la réaction, mémoire universitaire publié aux Editions Manuscrit.com, 2001. |
[1] L’image des femmes dans la publicité, rapport du groupe d’experts remis à Nicole Péry, juillet 2001, p. 6.
[2] Cathelat (Bernard), Publicité et société, op. cit. p 203.
[3] Ibid. p. 201-202.
[4] L’image des femmes dans la publicité, op. cit., p. 4.
[5] URL [en 2004] http://www.social.gouv.fr/femmes/, rubrique Egalité en marche / Valoriser les femmes dans l’univers culturel et sportif.