ROUDY, Yvette (née Yvette SALDOU)
Née le 10 avril 1929 à Pessac (Gironde). Traductrice de Betty Friedan, auteure de livres sur la condition féminine, militante du Mouvement Démocratique Féminin (MDF), députée européenne (1979-81), ministre des droits de la femme (1981-1986), députée (1986-1993, 1997-2001), maire de Lisieux (1989-2001).
Yvette Roudy a un parcours inhabituel de militante qui est le fruit de son ascension sociale. Son père, ouvrier dans la métallurgie, est revenu de la guerre de 1914-18 avec une pension d’invalidité et est devenu employé de la municipalité de Pessac. Yvette a développé un caractère indépendant, réagissant contre la formule de ses parents, » Ça, ça n’est pas pour nous » (A cause d’elles, p. 16) et contre le principe d’autorité patriarcale de son père. En 1941, alors qu’elle avait 12 ans, sa mère est morte. Cherchant l’indépendance mais forcée de travailler, elle devient dactylographe dans une conserverie de poissons bordelaise à 17 ans.
En 1948, elle rencontre Pierre Roudy, lycéen. Ils se sont vite liés. Pierre l’a aidée dans sa découverte du monde des livres. Ils se marient le 16 juillet 1951. Elle s’est inscrite au Centre national d’enseignement par correspondance pour préparer son baccalauréat. Pour préparer sa license, Pierre a obtenu un poste d’assistant en Ecosse. Partis ensemble à Glasgow en 1951, ils y font un séjour de trois ans, ce qui a permis à Yvette de perfectionner sa connaissance de l’anglais.
De retour à Bordeaux en 1955, Yvette réussit a passer le baccalauréat et prend un emploi dans une compagnie américaine. La compagnie se déplace à Paris en 1956 et le couple s’y déplace aussi. Pierre, qui organisait des activités théâtrales au lycée où il enseignait l’anglais, présente une pièce adaptée par Colette Audry ; Yvette fait ainsi connaissance de cette ancienne de la Résistance, socialiste et féministe, proche de Pierre Mendès-France, militante à cette époque au Mouvement Démocratique Féminin (MDF).
Colette Audry confie à Yvette sa première traduction importante, celle du livre de l’Américaine Betty Friedan, The Feminine Mystique (1963), qu’elle traduira sous le titre La femme mystifiée (1964). Elle traduit par la suite Ma Vie d’Eleanor Roosevelt (1965) et La Place des femmes dans un monde d’hommes d’Elizabeth Janeway (1972). Grâce à ce travail, elle peut quitter son emploi et se consacrer au travail intellectuel.
La femme mystifiée, qui a fait sensation aux Etats-Unis, est considéré comme une base du renouveau du féminisme outre-atlantique. Yvette Roudy trouve qu’il lui manque une dimension politique, mais est tout de même impressionnée par le problème qu’il pose, celui de la femme éduquée qui souffre « de vivre au-dessous de ses capacités » (A Cause d’elles, p. 77). Colette Audry ayant aidé Yvette dans la traduction, une amitié s’est nouée.
Suite à sa demande, en 1964 Yvette a suivi Colette dans le MDF et y a fait la connaissance de Marie-Thérèse Eyquem, qui présidait alors cette organisation. Y. Roudy milite sérieusement dans le MDF et, à l’automne 1965, fonde un journal bi-mensuel, La femme du XXe siècle, édité par le MDF, dont elle est restée directrice jusqu’à sa disparition en 1971, suite à la fondation du nouveau Parti socialiste. Colette Audry et Marie-Thérèse Eyquem ont fait partie du comité de rédaction. La voici journaliste.
La femme du XXe siècle prônait les droits des femmes, dont le droit à la contraception (appelée alors » planning familial « ), encore interdite à l’époque. Les femmes du MDF ont demandé à François Mitterrand en 1965 de soutenir ces thèses à l’occasion de sa première campagne présidentielle ; il s’y est engagé. C’est dans un entretien accordé à cette revue que François Mitterrand s’est déclaré » partisan du planning familial » (La femme du XXe siècle, N° 3, octobre-novembre 1965, p. 4).
Suite à son succès relatif lorsqu’il est arrivé au second tour face au Général de Gaulle en 1965, Mitterrand a constitué la Convention d’Institutions Républicaines en vue des élections législatives de 1967. Le MDF y est entré dès le départ. Pour ces élections, Mitterrand souhaitant des candidatures féminines, Y. Roudy s’est présentée, à Meaux Coulommiers, circonscription sans espoir. Mais la voici politicienne rodée.
Y. Roudy aide Mitterrand, préparant des rapports sur les sujets américains d’actualité, tels les Black Panthers et Angela Davis. Elle représente la Convention au comité de soutien à Angela Davis et au Mouvement de la Paix et dans d’autres instances de la gauche. Elle aide ainsi F. Mitterrand dans son projet de rassembler la gauche.
Pour le MDF et La femme du XXe siècle, elle fait en 1968 des recherches sur le rôle des femmes en Suède et obtient une interview avec Olaf Palme, premier ministre social-démocrate. De retour à Paris le 10 mai 1968, elle découvre les évènements, qu’elle a vécus un peu en-dehors. Candidate (20e arrondissement de Paris) aux élections législatives de juin 1968, elle échoue comme presque toute la gauche. Après diverses expériences, dont un passage au Club Med comme GO (gentil organisateur dans le langage de l’époque), Y. Roudy entre en franc-maçonnerie, dans la Grande Loge féminine de France. Elle reste laïque et anticléricale dans sa vision de la société.
Au congrès d’Epinay de juin 1971, François Mitterrand atteint son objectif : rassembler la gauche non communiste dans un nouveau Parti socialiste. Y. Roudy y entre avec le MDF, déjà militante éprouvée. Soutenue par Mitterrand, Y. Roudy passe quatre ans à sillonner la France, organisant des conférences. Mais dans le nouveau parti, elle rencontre l’opposition misogyne. Lors des élections législatives de 1973, elle n’est pas candidate et il n’y a pas une seule femme parmi les nouveaux députés socialistes. L’année suivante, Mitterrand échoue aux élections présidentielles anticipées qui suivent la mort de Georges Pompidou.
» Pour y voir plus clair « , Y. Roudy a écrit La Femme en marge, paru en 1975, l’année de la femme (ONU). C’est un livre féministe étoffé. Elle obtient de Mitterrand une préface de soutien, dans laquelle notamment il loue Yvette Roudy, » militante qui, depuis dix ans, n’a cessé de réfléchir et de lutter à la fois sur deux fronts : le féminisme et le socialisme » et avoue, » sur le fond du débat, je ne peux que lui [Yvette Roudy] donner raison : il existera une vraie société socialiste le jour où la femme ne sera pas seulement reconnue par nous comme une égale,mais comme différente, c’est-à-dire où nous n’essaierons plus de lui imposer . . . notre propre modèle, mais où nous accepterons qu’elle invente le sien » (La femme en marge, p. 8).
Le congrès de Suresnes, en 1974, accepte un quota féminin de 15% et la création du secrétariat national aux droits de la femme, dont Yvette Roudy est devenue la première secrétaire nationale. Le congrès de Nantes (juin 1977) a soutenu » une Convention Nationale sur les Droits de la Femme « , qui adopte le 15 janvier 1978 un Manifeste du Parti socialiste sur les droits des femmes orientant le parti sur des principes féministes assez larges. Le Manifeste a été publié dans Le Poing et la rose, février 1978, et en brochure en 1979 sous le titre, Féminisme, socialisme, autogestion.
Aux élections législatives de 1978, Y. Roudy est parachutée à Lyon mais n’y est pas élue. Pour les élections au Parlement européen en 1979, au scrutin de liste, elle réussit à obtenir pour les femmes 30 % des places gagnables et c’est ainsi qu’elle se retrouve parmi les six femmes sur vingt députés socialistes et radicaux de gauche. Elle y fonde la commission des droits des femmes et en devient la première présidente. Son rapport est adopté.
Au lendemain de la victoire de Mitterrand aux élections présidentielles, le 10 mai 1981, Pierre Mauroy, qui vient d’être nommé premier ministre, lui a offre, à sa grande surprise, le Ministère des droits de la femme. Valéry Giscard d’Estaing avait créé un Secrétariat à la condition féminine (y nommant Françoise Giroud), mais Y. Roudy est nommée ministre et membre du gouvernement. Qui plus est, de l’appeler » des droits de la femme » invoquait les » droits de l’homme » de 1789, phrase qui a toujours une grande résonance dans la culture française.
Le ministère a eu quelque 5000 employés et un budget dix fois plus important que celui du précédent Secrétariat. Y. Roudy commence par une campagne nationale de publicité pour le principe et les méthodes de contraception par des » spots » télévisés. Roudy demande à la célèbre cinéaste Agnès Varda un court métrage sur ce sujet tabou. Fin 1981, chaque soir paraissait à la télévision de la publicité pour la contraception. A la grande surprise de beaucoup, la campagne a été très bien reçue.
Y. Roudy a persuadé le président de fêter la journée internationale des femmes – célébrée d’abord par les femmes socialistes en 1910 et reprise ensuite par les femmes communistes-comme événement officiel. Le 8 mars 1982, donc, François Mitterrand a présidé une grande cérémonie et y a prononcé un discours prônant » l’autonomie, l’égalité, [et] la dignité » de la femme, confiant à Yvette Roudy la tâche de corriger les injustices dont souffraient les femmes.
Y. Roudy a nommé l’historienne Madeleine Rebérioux et la sociologue Madeleine Guilbert à une commission qui a présenté en 1982 un rapport très important, Les Femmes en France dans une société d’inégalités. Ce rapport a été à la base de maintes réformes . Le ministère a encouragé et subventionné les organisations féminines, pour un montant de 60 millions de francs en 1983. Y. Roudy fait publier le Guide des droits des femmes, publié en 1982, qui en 95 pages informait les femmes de tous leurs droits. Elle a créé 136 Centres de consultation pour conseiller les femmes sur leurs droits et distribuer le Guide des droits des femmes. Elle a assuré le développement de refuges pour les femmes battues dans toutes les villes. Elle a prescrit des normes pour la représentation des femmes dans les manuels scolaires.
La loi sur l’égalité professionnelle, parue dans le JO du 14 juillet 1983 après deux ans de préparation, s’inspirait des lois américaines contre la discrimination raciale et sexuelle. Elle exigeait que tous les patrons fournissent des rapports annuels sur la situation des femmes dans leurs entreprises et qu’ils préparent des » contrats pour l’égalité « . Il a fallu d’autres mesures en 1989 pour mettre fin à la pratique consistant à masquer les inégalités par des descriptions différentes de travaux similaires, mais cette loi marquait tout de même une énorme étape vers l’égalité pratique.
Le Ministère a inspiré des femmes et des féministes à travers le monde et a même donné naissance à un néologisme en anglais : » femocrat « . Mais il y a eu des déceptions inévitables. L’Assemblée nationale a accepté un projet de loi assurant que les femmes constitueraient au moins 25 % sur toutes les listes électorales, mais en 1983 le Conseil Constitutionnel a invalidé la loi, la trouvant discriminatoire.
Egalement en avance, Y. Roudy a réussi à assurer le remboursement partiel de l’IVG. En effet, la loi Veil, légalisant la procédure, n’avait prévu aucun remboursement, laissant peser ainsi sur les femmes pauvres un poids terrible. Le projet de loi qu’a déposé Y. Roudy a rencontré une opposition farouche. Mitterrand a tranché par un compromis, révisant la loi Veil afin d’assurer le remboursement mais seulement à 70 % et par un budget spécial, non pas par la Sécurité sociale.
La plus grande déception qu’a éprouvée Yvette Roudy résultait du projet de loi dite « anti-sexiste ». Annoncé dans le discours lors de la Journée internationale des femmes en 1983, il reprenait la loi anti-raciste et cherchait à empêcher la publicité dégradante pour la femme. Après un débat d’une virulence inouïe, le projet a été enterré sans suite.
Le 22 mars 1983, deux semaines après la Journée internationale des femmes, le gouvernement Mauroy limite la participation au Conseil des Ministres aux ministres à part entière au nom de l’efficacité (en fait il s’agissait de préparer le tournant économique et le rejet de la politique socialiste). Y. Roudy, en tant que ministre déléguée auprès du premier ministre, se trouvait donc exclue de ces réunions, comme une dizaine d’autres ministres. Mais Y. Roudy sort renforcée de cette épreuve. En 1984 (grâce, pense Yvette Roudy, à l’intervention de Simone de Beauvoir auprès de François Mitterrand), elle est nommée ministre à part entière et a donc un statut supérieur, mais lors de l’avènement du gouvernement Chirac en 1986 le ministère est démantelé.
Forte de son succès au ministère, Yvette Roudy est élue députée du Calvados en 1986 et est devient Maire de Lisieux en 1989. Elle siège à l’Assemblée jusqu’en 1997, exception faite de la législature 1993-97. Elle est restée Maire de Lisieux jusqu’en 2001. Elle a continué son activité en faveur des femmes et a joué un rôle important dans la parité. Elle a initié les rencontres d’éminentes femmes politiques, rencontres qui ont abouti à la célèbre couverture de L’Express du 6 juin 1996, où l’on voit dix femmes élues qui avaient occupé des postes importants, cinq de gauche, cinq de droite. A l’intérieur, huit pages entières, avec l’historique et la sociologie de la question, un manifeste des dix femmes élues soutenant la parité, et surtout l’engagement d’Alain Juppé, premier ministre précédent, et de Lionel Jospin, premier ministre à l’époque, en faveur de la parité.
Œuvre
Traductions et éditions
Audry, Colette. Rien au-delà. Paris : Denoel, 1992. Postface d’Yvette Roudy.
Friedan, Betty. La femme mystifiée. Traduit de l’américain par Yvette Roudy. Paris : Gonthier, 1964.
Friedan, Betty. Les femmes à la recherche d’une quatrième dimension. Traduit de l’américain par Henriette Etienne et Yvette Roudy. Paris : Denoël, 1969.
Janeway, Elizabeth. La Place des femmes dans un monde d’hommes. Traduit de l’américain par Yvette Roudy. Paris : Denoël- Gonthier, 1972.
Roosevelt, Eleanor. Ma Vie. Traduit de l’américain par Yvette Roudy. Paris : Gonthier, 1965.
Ouvrages
Roudy, Yvette. La femme en marge. Préface de François Mitterrand. Paris : Flammarion, 1975 (collection La Rose au poing) ; 2e éd. Paris : Flammarion, 1982,
Roudy, Yvette. Mais de quoi ont-ils peur ? : un vent de misogynie souffle sur la politique. Paris : A. Michel, 1995.
Roudy, Yvette. A cause d’elles. Paris : A. Michel, 1985.
Roudy, Yvette, et Lydie Péchadre, avec la collaboration de Sarah Peltant. La Réussite de la femme. Paris : Denoël, 1970.
Sources
Entretien avec Yvette Roudy, le 17 mai 2001.
Périodiques
L’Express, 6 juin 1996, pp. 28-38.
La Femme du 20e siècle : revue bimestrielle. Editée par le Mouvement Démocratique Féminin. Rédactrice : Yvette Roudy. N° 1, juillet-août 1965-N° 17, 1971.
Le Nouvel observateur, 5 avril 1971, pp. 5-6.
Le Poing et la rose : bulletin socialiste : organe mensuel d’information du Parti socialiste.
Brochures, livres
France. Ministère des droits de la femme. Les Femmes en France dans une société d’inégalités : rapport au Ministre des droits de la femme. Présidente de la commission : Madeleine Rebérioux. Paris : La Documentation française, 1982.
France. Ministère des droits de la femme. Guide des droits des femmes. Paris : La Documentation française, 1982.
Parti socialiste. Féminisme-Socialisme-Autogestion : Les grands thèmes du manifeste du parti socialiste sur les droits des femmes. Paris : Parti socialiste, 1979.
Ecrits historiques
Jenson, Jane et Mariette Sineau, Mitterrand et les Françaises : un rendez-vous manqué (Paris, 1995).
Reynolds, Sîan. » The French Ministry of Women’s Rights 1981-86 : Modernisation or Marginalisation ? « . In John Gaffney, ed., France and modernisation (Aldershot Hants, 1988).
Reynolds, Sîan. » Women and Political Representation during the Mitterrand Presidency – or the Family Romance of the Fifth Republic, » In Mairi Maclean, ed., The Mitterrand years : legacy and evaluation (London, 1998).
Sowerwine, Charles. France since 1870 : Culture, Politics and Society. London : Palgrave Macmillan, 2001. Chapitre 26.
Stetson, Dorothy M. Women’s rights in France (New York, 1987).
Charles Sowerwine
Yvette Roudy. Notice biographique extraite du « Maitron »
Membre d’Archives du féminisme, Charles Sowerwine (historien, Université de Melbourne, Australie), est spécialiste de l’histoire des femmes socialistes. Sa thèse, sur le sujet, a beaucoup contribué à éclairer les tensions entre féminisme et socialisme au début du XXe siècle (Les Femmes et le socialisme, Presses de la FNSP, 1978). Depuis, il a publié, en 1992, avec Claude Maignien, une biographie de Madeleine Pelletier aux éditions ouvrières. Il vient de rédiger la notice d’Yvette Roudy pour le Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français (éd. de l’Atelier). Que son directeur, Claude Pennetier, soit remercié d’avoir autorisé la publication de cette notice sur notre site. Nous invitons d’ailleurs à découvrir le Maitron en ligne, site dédié à l’histoire sociale.