Par Corinne Bouchoux.
A la veille de fêter les 50 ans du Planning familial en 2006, les archives d’une des fondatrices du Planning viennent d’arriver au Centre des archives du féminisme, grâce à la conscience qu’ont ses héritières du rôle pionnier de cette doctoresse…
Née en août 1918 de parents juifs lithuaniens, son père brocanteur et sa mère dans les schmatts (les vieux vêtements vendus sur le carreau du temple), elle connaît les joies du lycée public dans le Marais. Son engagement féministe est précoce : à 13 ans, elle rencontre l’avocate suffragiste Marcelle Kraemer-Bach et la Ligue du droit des femmes, puis organise une conférence dans son lycée. Sa mère la préserve des tâches domestiques : « Ne rentre pas dans la cuisine ! […] C’est là que les femmes se perdent ». Après une année de Droit qu’elle réussit, elle obéit à sa vocation et se tourne vers la médecine. Elle réalise des études brillantes dans un contexte plus que difficile en raison des lois antisémites de Vichy. Elle part seule faire sa deuxième année à Montpellier et verra son année validée suite à un procès où elle a montré un acte de baptême (de complaisance). A 24 ans, elle se retrouve de fait médecin-chef d’un sanatorium de la banlieue parisienne. Elle épouse pendant l’Occupation un étudiant en biologie Adam Képès. Deux filles naissent de cette union heureuse, Yolande et Marise, en 1944 et 1945. La guerre marque Suzanne Képès : son frère, sa belle-sœur et son neveu sont déportés, seul son frère revient, qu’elle ne reconnaît pas à l’hôtel Lutétia. « Cette nouvelle vie, il fallait la mériter, justifier le privilège d’avoir survécu ».
Après-guerre, devenue médecin d’usine aux Mureaux, dans l’aéronautique, et après avoir monté parallèlement un cabinet de médecin de ville, c’est via une amie de lycée qu’elle entend parler de contraception et de planification des naissances. Elle relate ses souvenirs dans Du corps à l’âme, entretiens avec Danielle M. Lévy et revient sur les étapes de son engagement entre 1947 et 1973, date de son départ du Planning : les années de formation, de pratique, de militantisme intense. Elle y décrit les chemins de cet engagement, les résistances du corps médical (par idéologie ou ignorance). Son expérience aux Etats-Unis où elle a vécu pendant deux ans avec sa famille, lui fait découvrir la formation de l’anglais Balint, la relaxation et l’école anglaise de la Tavistock Clinic… Devenue gynécologue, elle pratique la relaxation qui vient comme un prolongement naturel et nécessaire de la maîtrise de la reproduction. Après le Planning, elle participe à Bobigny, avec André Durandeau, à la formation multidisciplinaire qui lui permet de transmettre son savoir : « réinsérer les sexualités dans le champ de la santé ». Pour tous les curieux de l’histoire contemporaine, ce témoignage riche, facile à lire, rend compte d’une vie hyperactive – on la nommait la « galopante ». Sa postface sur les relations médecin-patient (« conseils aux futurs médecins » et « comment peut-on être patient ? ») mériterait une diffusion maximale. Cet ouvrage que l’auteure avait dédié à ses deux filles, elles aussi médecins gynécologues, ne peut qu’intéresser les lectrices et lecteurs. Et n’hésitez pas à proposer « Suzanne Képès (1918-2005) gynécologue et féministe » pour baptiser les dispensaires, les écoles, les noms de rue ! Nous lui devons toutes et tous beaucoup. La ville des Mureaux y pensera-t-elle ?
Extrait du bulletin Archives du féminisme, n° 9, décembre 2005.