Colloque « Théoriser en féministe », Lyon, avril 2018 – appel à propositions

Théoriser en féministe. Philosophie, épistémologie, politique

Feminist Theorizing. Philosophy, Epistemology, Politics 


RÉSUMÉ : 
L’objectif de ce colloque est d’explorer les spécificités de l’« impureté » du théoriser féministe, toujours en commerce avec son dehors, ainsi que ses manifestations au sein des modèles épistémologiques dans les différentes disciplines. On abordera plus particulièrement la philosophie et la science politique. Les contributions pourront aussi bien porter sur un travail d’élaboration de concepts nécessaires à une recherche empirique prenant le genre en considération que sur la reprise et l’amendement d’un modèle théorique ou d’une méthodologie héritée dans une perspective féministe. Elles pourront également développer une réflexion sur les spécificités du rapport féministe à la théorie dans les champs de la philosophie ou de la science politique. Le colloque est pluridisciplinaire ; toute proposition est la bienvenue dans la mesure où elle porte non pas directement et seulement sur un terrain et des résultats empiriques, mais sur un travail de théorisation ou sur la théorisation.

COMITÉ D’ORGANISATION : Anaïs Choulet (doctorante en philosophie, CNRS/Lyon 3) ; Pauline Clochec (doctorante en philosophie, ENS de Lyon) ; Delphine Frasch (masterante en philosophie, ENS de Lyon) ; Margot Giacinti (doctorante en science politique, ENS de Lyon/IEP de Lyon) ; Vanina Mozziconacci (docteure en philosophie, ENS de Lyon/LabEx COMOD) ; Léa Védie (doctorante en philosophie, ENS de Lyon).

COMITÉ SCIENTIFIQUE (MEMBRES SUPPLÉMENTAIRES) : Lise Bouchereau (masterante, IEP de Lyon) ; Claude Gautier (professeur des universités, ENS de Lyon) ; Claire Grino (docteure en philosophie et ATER à Lyon 1).

MODALITÉS DE SOUMISSION : Les intitulés et les résumés des propositions de communication (en français ou en anglais) seront envoyés dans un document anonyme (format .doc ou .odt), joint à un e-mail dans lequel seront précisées les coordonnées et une courte biographie de l’auteur·e. Le document anonymisé doit comporter 1) un résumé de 3000 signes maximum 2) 3 à 5 mots-clefs 3) l’indication de l’axe dans lequel s’inscrit la proposition. Enfin, le document doit avoir pour nom theoriserenfeministe.doc (ou theoriserenfeministe.odt).
Les propositions sont à envoyer à theoriefeministe@gmail.com au plus tard pour le 31 décembre 2017.
Les réponses aux auteur·e·s seront envoyées le 15 février 2018 au plus tard.

LIEUX : ENS de Lyon, IEP de Lyon, ISH de Lyon.

DATE : 25-27 avril 2018.

CONTACT : theoriefeministe@gmail.com et theoriserenfeministe.wordpress.com

Argumentaire

Le féminisme, d’une part comme pensée critique, et d’autre part comme mouvement collectif visant une transformation sociale, semble pris dans une double tension dès lors qu’on cherche à déterminer son rapport à la théorie. Premièrement, la théorie renvoie à l’abstraction (au sens d’une opération qui isole et généralise), et cette dernière semble difficilement compatible avec l’ancrage du féminisme dans l’expérience ordinaire des femmes. Cette attention au quotidien, qui vise notamment à ne pas occulter les différences – entre femmes et hommes, entre femmes – apparaît précisément comme un frein à la « pulsion de généralité » qui a pour conséquence des universalisations abusives. Si la théorie procède par abstraction, ne risque-t-elle pas d’occulter les diverses manières dont le sexisme s’articule concrètement aux autres rapports d’oppression : hétéronormativité, cissexisme, racisme, validisme, classisme ? L’ancrage dans l’expérience permet de rendre visible et de valoriser des vécus et des savoirs concrets qui ont été niés et relégués dans la « cave ontologique » (Clark, 1976), au profit d’une « masculinité abstraite » (Hartsock, 1983 ; Smith, 1974) ou d’un « masculin neutre » (Mosconi, 1992). Deuxièmement, en tant qu’elle est d’ordre spéculatif, la théorie entre en tension avec la pratique militante et la visée transformatrice des conditions sociales de l’action qui caractérisent la lutte féministe. Un décalage, voire un divorce, pourrait ainsi advenir entre les « intellectuel·le·s » du féminisme (Delphy, 1981) – notamment à travers l’institutionnalisation des études de genre — et les militant·e·s « de terrain ».

Ces tensions, loin de constituer un obstacle définitif et de conduire à un rejet massif de la théorie par les féministes, ont au contraire été l’occasion d’une réflexion critique portant sur ce qu’il s’agit d’entendre par « théoriser ». Que cela soit à travers un travail de nomination et de (re)catégorisation pour enrichir les ressources épistémiques nécessaires à la compréhension de l’injustice de genre (Fricker, 2007), à travers une critique de la logique totalisante du « système » au profit d’une théorisation ouverte et exploratoire (Le Dœuff, 1989), ou encore à travers une reprise de la notion de praxis visant à revendiquer à la fois la vertu épistémique de la pratique et la nécessité d’un travail des idées pour nourrir une action efficace (hooks, 1984), la reconnaissance d’un nécessaire double ancrage empirique de la théorie féministe est en jeu. Le soin mis à rendre visible l’invisible et à entendre les voix différentes peut conduire à « perdre ses concepts [et à] retrouver l’expérience » (Laugier, 2010) mais également à évaluer la théorie au regard de ses conséquences pratiques et de ses effets émancipateurs.

L’objectif de ce colloque est d’explorer les spécificités de cette « impureté » (Varikas, 2006) du théoriser féministe, toujours en commerce avec son dehors, ainsi que ses manifestations au sein des modèles épistémologiques des différentes disciplines, en abordant plus particulièrement la philosophie et la science politique. Les contributions pourront aussi bien porter sur un travail d’élaboration de concepts nécessaires à une recherche empirique prenant le genre en considération que sur la reprise et l’amendement d’un modèle théorique ou d’une méthodologie héritée dans une perspective féministe ; elles pourront également développer une réflexion sur les spécificités du rapport féministe à la théorie dans les champs de la philosophie ou de la science politique. Le colloque est pluridisciplinaire ; toute proposition est la bienvenue dans la mesure où elle porte non pas directement et seulement sur un terrain et des résultats empiriques, mais sur un travail de théorisation ou sur la théorisation. Si « faire du terrain en féministe » (Clair, 2016) engage une série de questionnements, il en va de même lorsqu’il s’agit de théoriser – ces questionnements pourront être développés selon les quatre axes suivants.


I. ÉPISTÉMOLOGIES

Ce premier axe porte sur la manière dont les approches féministes, depuis des disciplines particulières (philosophie, science politique, sociologie, histoire, mais aussi physique et biologie) comme depuis l’échelle interdisciplinaire, contribuent à renouveler des questions épistémologiques classiques, allant jusqu’à redéfinir les frontières respectives de l’épistémologie, de la théorie sociale et de l’éthique (Fricker, 2007). Qu’est-ce que produire de la théorie ? Peut-on distinguer et/ou évaluer différentes manières de le faire ? Quels rapports existent et/ou doivent exister entre la théorisation, les positions qu’occupent les théoricien·ne·s dans la réalité qu’elles ou ils prennent pour objet, les expériences qu’elles ou ils possèdent de cette réalité ?

L’un des nœuds autour desquels ces réflexions s’articulent est le concept de standpoint (Puig de la Bellacasa, 2012). Ses tenant·e·s élaborent un discours à la fois descriptif – avec la thèse dite des « savoirs situés » (Haraway, 1988) – et prescriptif – avec la thèse dite du « privilège épistémique » (Hartsock, 1983). Ce discours a été contesté tant par les défenseur·e·s d’une objectivité pensée sur le mode de la neutralité, que par les avocat·e·s d’une rupture « postmoderne » avec toute forme d’objectivité (Hekman, 1997), ou encore par des féministes intersectionnelles (Spelman, 1988) – suscitant des controverses particulièrement fécondes (Harding, 2009).


II. PHILOSOPHIE

La théorie est le domaine privilégié de la philosophie, qui s’est jusqu’alors (du moins en France) relativement peu emparé du féminisme. Dans la mesure où le féminisme inspire à la philosophie à la fois des objets nouveaux et de nouvelles méthodes, ce colloque interrogera la philosophie féministe non seulement sur ses contenus, mais également sur ses pratiques : on ne peut pas faire de la philosophie féministe sans faire de la philosophie en féministe.

Il s’agit d’abord de se demander ce que la philosophie peut apporter au féminisme. Comment certains concepts philosophiques (substance, identité, altérité, etc.) peuvent-ils être utilisés par les théoricien·ne·s afin de décrire et comprendre certains enjeux féministes ? Mais la question est également de savoir comment, dans un mouvement inverse, le féminisme fournit à la philosophie une grille de lecture qui lui permet de se remettre elle-même en question. Comment est-elle contrainte, au contact de la critique féministe, de repenser ses méthodes, ses pratiques quotidiennes, et les rapports qu’elle entretient avec les autres disciplines ainsi qu’avec les mouvements militants (Addelson, 1994) ? Enfin, l’idée même d’une philosophie féministe pose la question des rapports complexes du féminisme à l’idée de rationalité. Comment peut-elle se situer, prise qu’elle est entre, d’une part, la critique du caractère androcentré du concept de raison tel que développé dans la tradition philosophique (Alcoff, 1995), et, d’autre part, la défense d’une science émancipatrice nécessaire à la réfutation des croyances sexistes (Le Dœuff, 1998) ?


III. SCIENCE POLITIQUE

À la différence des théories du point de vue (standpoint theory) ou de la sociologie des sciences, la science politique semble, plutôt que de proposer une nouvelle méthodologie d’analyse, se distinguer par l’adoption d’un « positionnement politique » (Jensen et Lépinard, 2009). Cette posture se traduit par l’appréhension des rapports sociaux de sexe comme des rapports de pouvoir et défie les distinctions fondatrices du politique, que sont les séparations entre le personnel et le politique, entre la famille et la cité ou entre la société civile et de l’État.
En tant que « science de l’État », la science politique ne s’est saisi que tardivement du genre. Ce que Catherine Achin et Laure Bereni qualifient de « résistance disciplinaire » (Achin et Bereni, 2013) s’explique en partie par l’autonomisation tardive de la science politique comme discipline à part entière et de l’objet historique de celle-ci, l’étude du gouvernement, dont l’ambition est de former les agents de l’État et de créer une science de l’administration. Dans un tel cadre, les rapports de pouvoir, de classe, de race ou de genre, sont largement mis à la marge, inhibés par des savoirs construits par et pour des hommes, selon une logique androcentrée. À partir des années 1970, l’inclusion progressive de la variable genre dans la discipline a pour effet de constituer les femmes en véritables sujets politiques, redéfinissant l’objet même de la science politique (Pisier et Varikas, 2004). Il s’agit ainsi de se questionner sur les conséquences théoriques induites par un tel changement, à la fois sur le plan de l’étude des institutions, de l’histoire des mobilisations politiques et dans l’analyse des politiques publiques. Comment le genre permet-il de repenser les catégories d’analyses théoriques de la science politique et de transformer le politique lui-même ? Engendre-t-il une véritable approche féministe en science politique, ou bien reste-t-il réduit à un outil théorique utilisé par les chercheur·e·s dont le positionnement politique est féministe ?


IV. THÉORIE ET PRATIQUE

En tant qu’elle est indissociable d’un mouvement social, la théorisation féministe est structurée par une interdépendance entre théorie et pratique militantes. Une telle interdépendance pose doublement la question de l’articulation entre théorie et pratique dans la théorisation féministe.
En premier lieu se pose la question des effets qu’a sur la théorie la visée d’effets pratiques. Il semble que cette visée pratique doive structurer la pensée féministe à la fois dans sa forme – avec l’exigence d’une clarté nécessaire à une large diffusion (hooks, 1984) – et dans son contenu – avec la prise pour objet de ce qui est aussi un adversaire pratique, un système hétéropatriarcal dont la théorie devrait manifester le possible dépassement (Butler, 2004). Cette première question se précise en celle du rapport à l’activisme que la théorie doit et/ou peut assumer : la théorie doit-elle « éclairer » la pratique ? L’exprimer comme porte-parole ? Le peut-elle sans la trahir ou se poser dans une position dominante vis-à-vis du terrain militant ? L’armer en lui offrant les conditions d’une prise de conscience élargie ?
En second lieu se pose la question des effets en retour de la pratique sur la théorie : comment la théorie peut-elle intégrer l’intelligence et les résolutions de problèmes inhérentes à la pratique militante ? La pratique – celle de l’activisme mais aussi de la mise en place de formes d’existence en rupture avec l’hétéropatriarcat – pourrait offrir non pas seulement un terrain empirique pour la réflexion théorique mais plus encore exiger une transformation des théories féministes (Johnston se référant à Ti-Grace Atkinson, 1973).
La réflexion sur cette articulation entre théorie et pratique à même la théorisation féministe a pour objet de prévenir un double risque : celui d’un théoricisme perdant tout effet pratique (Alcoff, 1988) et celui de l’isolement de la théorie, par sa forme et ses lieux académiques d’exercice. Dans la perspective de cette réflexion, ce colloque donnera la parole à la fois à des théoricien·ne·s et à des militant·e·s.

 

Liste des références bibliographiques

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